Éditions 10-18
526 pages
Résumé:
Au cours de l'été 1860, un fait divers atroce bouleverse l'Angleterre, déclenchant à travers tout le pays une hystérie médiatique sans précédent. Qui a tué le jeune Saville Kent, trois ans, dernier-né d'une famille de respectables bourgeois de la campagne anglaise ? Parmi les membres de la famille, chacun semble coupable car chacun a quelque chose à cacher. Immédiatement, les journaux s'emparent de l'affaire, et l'enquête, menée par Jack Whicher, célèbre détective de Scotland Yard, dévoile à tout le pays l'intimité d'une famille au-dessus de tous soupçons. Récit d'un scandale, acte de naissance du pouvoir de la presse, mais aussi du roman policier anglais, L'Affaire de Road Hill House est avant tout une histoire aussi vraie que captivante...
Mon commentaire:
C'est en 1842 que l'on nomme, en Angleterre, les premiers détectives de la police de Londres. Ils sont huit, dont Jonathan Wicher, qui enquêtera sur l'affaire de Road Hill House. Cette sombre affaire, non résolue pendant un bon moment, nuiera au reste de sa carrière. Il faut dire que l'Angleterre victorienne protège farouchement la vie privée et familiale. Ce qui se passe entre les quatre murs d'une maison, y reste. Il n'est pas de bon ton de mettre son nez dans les affaires de famille des autres, même si c'est pour élucider un crime.
Ce document d'enquête de Kate Summerscale nous ouvre les archives d'une ancienne affaire de meurtre. Le petit Saville Kent est retrouvé mort dans les latrines. On découvre aussi une fenêtre de la maison entrouverte, alors qu'elles sont toujours fermées le soir venu. Les policiers locaux piétinent et c'est tardivement qu'on dépêche sur les lieux un détective. On soupçonne quelqu'un de l'extérieur, puis tour à tour chacun des membres de la famille et des domestiques. L'enquête n'avance pas. Le détective Wincher verra sa réputation entachée, même s'il soupçonnait depuis le début la bonne personne... Ça prendra des aveux du meurtrier, quelques temps plus tard, pour venir à bout de cette affaire.
L'intérêt de ce document réside dans beaucoup de choses. Il aborde l'affaire de Road Hill House, mais également énormément de sujets. Ce qui fait sa force fait aussi sa faiblesse. C'est un texte très complexe, qui traite de différents détails relatifs, ou non, à l'affaire. L'auteur part dans de nombreuses directions tout au fil de l'enquête qu'elle nous raconte. Elle élabore énormément avant de revenir à l'intérêt principal: l'enquête de Road Hill House. C'est donc très intéressant, mais aussi très dense. En développant autant d'histoires autour du récit, le texte devient par moments un peu long. Si certains thèmes me parlaient vraiment, d'autres m'ennuyaient un peu. C'est peut-être mon seul reproche: l'auteur s'écarte beaucoup et souvent de l'enquête, en s'éparpillant autour de nombreux autres thèmes. Il est intéressant de connaître des détails sur certains personnages ou sur l'époque, cependant trop de détails donnent un peu l'impression d'être surchargé.
Ce que j'ai particulièrement aimé cependant, c'est l'apport de cette enquête à la littérature. L'auteur aborde souvent à travers son récit, les liens entre l'enquête de Road Hill House et la création d'oeuvres littéraires, de Dickens en passant par Wilkie Collins, Poe, Henry James. Ces éléments littéraires m'ont particulièrement intéressée. On réalise qu'il y a beaucoup de cette affaire dans des oeuvres de fiction qui ont été écrites par la suite.
L'époque victorienne est particulièrement bien abordée. On traite des conditions sociales et des conventions de l'époque, de la façon dont la police et surtout les détectives étaient perçus. Ils en étaient à leurs balbutiements en la matière et assez peu respectés des gens qui les percevaient comme des intrus dans leur vie quotidienne. La description du déroulement de l'enquête captive aussi beaucoup, puisqu'on réalise que les méthodes ont bien changées depuis. On y parle des procédures, de la façon de vivre le deuil et de la place des domestiques. L'auteur a puisé dans les archives de l'époque où l'on retrouve des comptes rendus détaillés de tout ce qui concernait cette affaire: vêtements utilisés et portés, fonctionnement de la maison, allées et venus des gens, vie quotidienne. L'auteur analyse également le fonctionnement de la maison et l'interaction des membres de la famille entre eux. Toutes ces informations donnent une bonne idée de la vie d'une maisonnée bourgeoise au XIXe siècle.
L'affaire de Road Hill House m'a donné l'impression d'avoir accès aux archives relatives à cette affaire criminelle et d'y suivre l'auteur à travers ses recherches. Cet aspect du document est passionnant. Il s'agit d'une chronique judiciaire tout autant qu'une leçon d'histoire victorienne, qui démontre bien les moeurs de l'époque et la criminalistique. Le parallèle avec la littérature est intéressant. L'ouvrage est complété de divers plans des lieux du crime, d'arbres généalogiques, d'une liste des principaux protagonistes, de reproductions de lettres et de photos d'époque, d'une soixantaine de pages de notes et de deux cahiers de photos insérés dans le livre. J'ai énormément apprécié ce contenu visuel, il me semble que ça donne encore plus de consistance à l'atmosphère entourant l'enquête. En les voyant, on a l'impression de connaître les lieux et les gens.
Toute bonne famille a sa propre dynamique et ses secrets. L'affaire de Road Hill House nous fait pénétrer dans le quotidien des Kent, via le meurtre du petit Saville, victime que l'on a parfois tendance à oublier pendant la lecture, tellement il s'agit d'une chronique judiciaire complexe et détaillée. Tout de même, ne serait-ce que pour le portrait d'une époque et l'impact qu'a eu cette affaire sur l'imagination des victoriens, cette lecture en vaut la peine.
Quelques extraits:
"L'agent [de police] devait porter son uniforme même lorsqu'il n'était pas en exercice, de sorte qu'il ne pût jamais être accusé de dissimuler son état." p.93
"Observer, c'est se montrer sélectif." p.145
"L'on peut véritablement regarder la physiognomonie des enfants comme le meilleur indicateur de météorologie familiale." p.147
"L'affaire de Road Hill House porta à de nouvelles hauteurs l'enthousiasme national pour les crimes déconcertants." p.252