La scène de mardi matin, à l’Arc de triomphe, mérite un bref détour, à savoir celle du président élu François Hollande et Nicolas Sarkozy, quittant l’Elysée, ayant déposé ensemble une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu, pour la cérémonie du 8 Mai. François Hollande a ainsi répondu à l’invitation du président sortant, battu dimanche dernier, à assister à ses côtés à la commémoration nationale. Les deux hommes se sont salués, juste avant le début de la cérémonie, ont déposé la gerbe et rallumé la flamme sur la tombe, avant d’écouter, côte-à-côte, la Marseillaise, puis le Chant des partisans, entonné par les choeurs de l’armée française, et ayant ensuite salué d’anciens combattants. Le chef de l’Etat sortant, à son arrivée, avait passé les troupes en revue. Il avait auparavant déposé une gerbe devant la statue du général de Gaulle sur les Champs-Elysées. L’image des deux adversaires réunis pour l’occasion est inédite. « Deux présidents pour le prix d’un, nous n’avions jamais vu cela ».
Le 8 mai 1995, Mitterrand finissant y avait bien convié Chirac, à peine élu, mais ce-dernier était demeuré trois pas, derrière lui. François Mitterrand était un monarque républicain, à l’ancienne, qui ne partageait pas sa souveraineté. Mais Sarkozy n’est pas Mitterrand, plus égalitaire, plus décontracté, plus américain, plus démocrate, plus républicain. Après la cérémonie, François Hollande n’a pas manqué de déclarer que l’image « du rassemblement devait se faire ». « Président encore en exercice, président élu qui va prendre ses responsabilités le 15 mai, nous devions être l’un et l’autre présents à cette cérémonie », a-t-il ajouté, pendant que Nicolas Sarkozy serrait des mains dans la foule. « L’un et l’autre nous devions être ici unis pour rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui sont tombés pour la France », a insisté le vainqueur du second tour. Et décidemment, Nicolas Sarkozy ne parviendra jamais à devenir un monarque à la française, retenu, froid, distant. Pendant cinq ans, le pays dans ses profondeurs lui en a fait grief. Après un long moment de fascination, les médias finirent aussi par le lui reprocher. Bien que l’on puisse cependant saluer, en se plaçant sous un autre point de vue, son pragmatisme et son intelligence – certaine, bien que relativement stérile -, il est vrai également, qu’après avoir fait rouler la couronne à ses pieds, il devient difficile de la recoiffer ensuite. « La désacralisation, voilà l’ennemi ».
Mais tout se renverse depuis sa défaite. Son discours de vaincu, dimanche soir, « pourtant plein de pathos sentimental », et à la tonalité très fausse, est apparue digne et respectueux de son vainqueur et de la démocratie. Hier, tout le monde vantait sa générosité, sa loyauté, sa dignité. « Erreur hier, vérité aujourd’hui ». Avec les mêmes qualités, et les mêmes défauts, il réussit sa sortie, là où il avait manqué son entrée : Fouquet’s, escapade avec Bolloré en bateau, footing dans le bois de Boulogne, la trilogie maudite est enfin effacée, du moins mise entre parenthèses le temps de la sortie. Les médias vomissaient sa campagne à droite, mais bien qu’elle lui aura cependant permis, selon toute vraisemblance, sa sortie digne, en creusant l’écart, et en évitant l’humiliation électorale. Ils louent désormais sa dignité dans la défaite, sa logique rassembleuse, soucieuse de la paix civile et de la réconciliation des deux camps, qui s’étaient affrontés, ceux-là même qui le fustigeaient encore, il y a peu. Mais n’était-ce pas déjà ce même souci de rassemblement, et de réconciliation, qui l’avait conduit à sa politique d’ouverture, qui s’est quand même résumée à quelques individualités, mais peut-être l’une de ses erreurs politiques majeures.
Cela dit sur le fond, on lui a tout de même reproché d’être clivant, d’avoir une vision disons, assez manichéenne de la France. On a accusé le président sortant, contrairement à Chirac – mauvais rassembleur -, d’avoir monté les Français les uns contre les autres, les jeunes contre les vieux, les salariés du privé contre ceux du public, les fonctionnaires, les Français de souche contre les étrangers, mais cela dit en passant, se contentant seulement parfois – non sans arrière-pensée électoraliste -, de dire le réel, en montrant une société plus divisée, disparate, plus antagoniste qu’elle ne l’aura jamais été. On le glorifie désormais de placer, traiter son adversaire en égal, presque en ami. « Il met seulement la poussière sous le tapis, le temps d’une journée solennelle ». La France a la nostalgie de l’Union nationale. Mais Bayrou en sait quelque chose, elle ne vote pas pour elle. Sarkozy et Hollande sont côte à côte, et on les applaudit. Comme hier, où ils furent côte à côte, à la une de Paris Match, afin de défendre le oui au référendum de 2005. Et où ils furent agonis d’injures. Ces images consensuelles, pleines de connivence, rappelleront très vite, dès que les premières difficultés apparaîtront, que les passions politiques renaitront, la collusion des deux grands partis, le fameux UMPS, cher à Marine Le Pen.
En effet, tout cela reviendra vite, dès la rentrée estivale, bien que pour l’instant – mais pour l’instant seulement – tout reste encore en suspens, en apesanteur, entre parenthèses. Mais cela, grâce aussi à Sarkozy, toujours sous tension durant les cinq ans de son mandat, mais aussi durant les trente ans de sa vie politique. Un Nicolas Sarkozy qui paraît, en réalité, apaisé par sa défaite. « Soulagé, décontracté, libéré »…
J. D.