Mais la première question que je me pose, en cette période d’attente angoissée, est celle de savoir quels seront les premiers protagonistes à déterrer la hache de guerre. Les fumeurs ou les non fumeurs ? Il est naturellement très difficile de répondre à cette question tant les uns et les autres sont, soit très remontés contre la législation en vigueur qui interdit de fumer dans tous les lieux publics, cafés et restaurants inclus, soit, au contraire, soulagés que celle-ci prenne enfin en compte leur revendication, tout en ne cachant pas leur inquiétude quant au respect de la loi par leurs ennemis héréditaires, les fumeurs. On sait en effet que parmi eux certains se sont mis ouvertement en résistance et sont prêts à prendre le maquis ou même à fuir à l’étranger. Mais ce dont on peut être certain c’est que cette guerre risque d’éclater pour une simple étincelle (de briquet ou d’allumette).
Quant à savoir qui a le plus de chances de gagner la bataille, tout dépend de la nature de celle-ci.
S’il s’agit d’une guerre classique c’est-à-dire reposant sur des rapports de force purement physiques, tenons-nous en aux données numériques dont nous disposons. Selon les sondages et Roselyne Bachelot, 80 % des Français seraient favorables à la loi en question et 20 % s’y opposent. Autant dire qu’en cas de guerre classique, en supposant que les clans combattent à armes égales et en excluant les armes nucléaires qui remplaceraient désagréablement les volutes de fumées par un nuage atomique dont personne ne sortirait vivant, ce sont les non fumeurs et leurs adeptes qui s’en tireront vainqueurs.
S’il s’agit d’une guerre philosophique -je parle bien sûr de philosophie appliquée, d’art de vivre, et non des dogmes sèvères des Épicuriens ou des Stoïques, encore moins de Kant, Kierkegaard ou Schopenhauer-, la bataille promet d’être rude et je ne suis pas certain que les non fumeurs gagnent tant est vrai que rien n’est plus sympathique que cette atmosphère enfumée qui règne autour d’un cendrier plein de mégots écrasés nonobstant l’air irrespirable et cette solidarité entre fumeurs qui fait qu’une femme du monde est prête à donner du feu avec complicité au dernier des clochards croisé dans la rue. Disons que dans le meilleur des cas, philosophiquement parlant, on peut estimer les chances de gagner à 50-50.
Le résultat sera le même s’il s’agit d’une guerre idéologique, les deux clans reprochant à l’autre, au nom de la liberté individuelle, de verser dans la dictature, l’un étant accusé de défendre des théories trop hygiènistes -comme chacun sait quant c’est trop propre, ça ne sent pas bon-, les autres d’être des empêcheurs tyranniques de ne pas fumer en rond.
Enfin s’il s’agit d’une guerre écologique, alors là il n’y a pas photo, les fumeurs militants sont sûrs de perdre, de même si la guerre repose sur des arguments de santé publique.
Mais au fait la guerre du tabac aura-t-elle lieu ? Rien n’est certain à l’heure où j’écris car il semble, aux dernières nouvelles, que la majorité des clients des cafés-comptoirs n’est pas si stupide et, que, hormis dans quelques bastions réfractaires, elle est toute disposée à fumer au bistrot dans la plus grande convivialité autour d’apéritifs bien alcoolisés, et sans se renier pour autant, le calumet de la paix.