Pour mesurer l’importance du pas que l’Union pourrait s’apprêter à franchir, un rapide état des lieux s’impose.
Tout d’abord, relevons que le droit européen réglemente principalement les contrats publics à travers les directives « marchés publics » de 2004 au sein desquelles les concessions de travaux occupent une place résiduelle et bénéficient d’un régime spécial. Pour l’heure, les concessions de services ne sont pas appréhendées par le droit dérivé mais relèvent du droit interne, sous couvert du respect du droit communautaire primaire.
Ensuite, soulignons que le traitement européen des concessions de services et de travaux s’en trouve différencié. Et cela emporte son lot de complexité tant sur l’opportunité de qualifier un contrat comme ayant l’un ou l’autre des deux objets que sur les modalités de calcul des seuils. Comment appréhender alors les prestations à prendre en compte en présence d’une concession mixte ?
Par ailleurs, l’absence de définition commune a pour conséquence des divergences abyssales entre les Etats membres sur la notion même de concession (de l’absence de texte au montage très élaboré faisant l’objet d’un corpus abouti comme en France, en passant par l’assimilation à de simples autorisations administratives). Dès lors, la CJUE connaît un contentieux récurrent en la matière.
La CCIP1 salue donc la distinction entre le régime de passation des concessions et celui des marchés, telle que prévue par le projet de réforme.
Sont ainsi opportunément précisées les différences de nature et de forme des deux contrats :
- le marché public, contrat à titre onéreux conclu par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de service ;
- le contrat de concession, contrat à titre onéreux conclu par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs, dont l’objet est l’exécution de travaux ou la fourniture de services, la contrepartie de ces prestations étant soit uniquement le droit d’exploiter les travaux ou services qui font l’objet du contrat, le concessionnaire assumant l’essentiel du risque opérationnel, soit ce droit accompagné d’un paiement.
Les futures directives prévoient donc des régimes juridiques distincts.
Dès lors, la dématérialisation est renforcée dans les deux propositions mais seuls les délais de préparation des offres relatives aux marchés publics sont raccourcis ; les offres relatives aux concessions étant plus complexes, les soumissionnaires bénéficient d’un laps de temps de préparation plus long.
Divergent aussi les modes de passation, lesquels sont résolument plus souples à l’égard des concessions qui exigent un recours élargi à la négociation.
Toutefois, les textes européens ne sont pas toujours très clairs.
Ainsi, une approche littérale de la future directive « concession »2 laisse supposer l’existence d’hypothèses dans lesquelles la négociation ne serait pas une étape déterminante du processus d’attribution. Or, cela mettrait en cause la nature même de ce contrat qui se fonde sur le principe de l’intuitu personae et qui nécessite, à la différence des marchés publics, un processus privilégiant l’organisation de discussions entre les candidats et le concédant.
D’autres dispositions peuvent aussi laisser circonspect en ce qu’elles mettent en cause la distinction entre régimes des concessions et marchés publics que la réforme vise précisément à séparer. Une lecture approfondie des dispositifs témoigne en effet d’une certaine résurgence de l’assimilation des concessions aux marchés. En ce sens, la proposition prévoit, en sus de la hiérarchisation des critères d’attribution du contrat, leur pondération. Or, si cela est tout à fait pertinent dans le cadre d’un marché public, cela peut se révéler inadapté dans un processus de dévolution d’une concession.
Mais il ne s’agit à ce stade que du projet de la Commission européenne. Au fil du processus décisionnel, le futur cadre juridique commun est voué à évoluer. A cet égard, et tout chauvinisme mis à part, l’exemple du droit français de la concession, fort de plusieurs siècles d’expérience, pourrait le conduire à aller au bout de sa logique et rendre entièrement compte de toutes les spécificités des concessions en les distinguant plus nettement des marchés publics. Encore faut-il que telle soit la voie suivie par les législateurs européens !
1. V. Les rapports de Nicolas Gueury, « Proposition de directive sur la modernisation de la politique de l’Union européenne en matière de marchés publics – Position de la CCIP », 23 février 2012 et « Proposition de directive sur l’attribution de contrats de concession – Position de la CCIP », 22 mars 2012.
2. Les dispositions relatives aux règles de passation de la future directive « concession » semblent ainsi conditionnées par l’expression « lorsque l’attribution de la concession nécessite une négociation » (article 35).