Cette question n’est que le sous-produit du traditionnel débat : libre-échange ou protectionnisme ? La question n’est pas anodine, surtout à l’heure où « produisons français, achetons français » a été l’un des slogans de la campagne présidentielle. Si l’idée est tentante, nous devons envisager ses conséquences avant de l’appliquer bêtement, notamment de nos jours où le choix du libre-échange est unanime et partagé par beaucoup, de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à l’Union Européenne.
Par Loïc Floury
Fondements intellectuels du protectionnisme et du libre-échange
Les défenseurs du protectionnisme sont nombreux : de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) à Friedrich List (1789-1846) en passant par Paul Bairoch (1930-1999), tous ont tenté de justifier cette doctrine controversée (Bairoch ira jusqu’à affirmer : « le protectionnisme est la règle, le libre-échangisme l’exception »).
L’origine du protectionnisme remonte à l’idée mercantiliste (XVIe siècle) selon laquelle la richesse d’un pays dépend du stock de métaux précieux qu’il possède : le commerce mondial est alors considéré comme un jeu à somme nulle puisque celui qui exporte gagne, et celui qui importe perd, d’où l’importance pour les États de mettre en place des mesures afin à la fois de freiner les importations et essayer de faciliter au maximum ses exportations. Deux limites fortes venaient déjà contredire le mercantilisme. Tout d’abord, il faut souligner qu’un échange ne peut JAMAIS être à somme nulle : à partir du moment où nous échangeons, c’est que nous y gagnons systématiquement quelque chose. À moins d’être contraint pas la force ou la violence, personne ne consent un échange où il serait perdant. Ensuite, la seconde n’est que pure logique : le commerce mondial ne saurait être constitué de nations ne faisant qu’exporter alors que personne ne daigne importer !
Cette doctrine économique a cependant su évoluer si bien qu’aujourd’hui, le protectionnisme consiste pour un État à intervenir dans l’économie afin de protéger ses producteurs de la concurrence internationale. Ces mesures peuvent être tarifaires (droits de douane ; subventions) ou non tarifaires (alourdissement des procédures administratives ; quotas ; normes techniques ou sanitaires) et se justifient par l’optique de protection des entreprises nationales face à la concurrence étrangère.
En fin de compte, le protectionnisme actuel peut se résumer à la pensée de Friedrich List, connu pour sa théorie du « protectionnisme éducateur » : l’État se doit de protéger les entreprises nationales qui ne sauraient résister à la concurrence internationale et ce, afin d’assurer croissance et prospérité.
Adam Smith (1723-1790), avec sa théorie dites « des avantages absolus » fut l’un des principaux défenseurs du libre-échange au XVIIIe siècle : chaque pays (du moins ses entreprises nationales au sens de Smith et non pas la structure en elle-même) aurait intérêt à se spécialiser dans la production de biens ou services pour lesquels il est le plus compétitif sur le marché mondial. Autrement dit, les pays étant capables de produire les plus grandes quantités d’un certain bien ou service à un coût le plus faible possible devraient posséder un monopole naturel sur cette production, de façon à ce que chacun puisse s’enrichir dans l’échange et se procurer tout ce dont il avait besoin au moindre coût et que les producteurs puissent vendre au plus grand nombre possible. La principale critique qui fut adressée à Smith fut la suivante : quid des pays n’étant compétitifs dans la production d’aucun bien ou service ? L’Histoire et la réalité nous montreront que cet argument n’en est pas un : aujourd’hui, presque tous les pays convertis à l’économie de marché et au libre-échange exportent et aucun ne fait qu’importer.
Frédéric Bastiat (1801-1850) fut sans aucun doute le plus virulent défenseur du libre-échange en raison de sa célèbre satire nommée « Pétition au Parlement français de la part des fabricants de chandelles » où Bastiat et lesdits fabricants demandent à être protégés « de la compétition ruineuse d’un rival étranger » qui leur livre « une concurrence déloyale en fournissant sa lumière à des prix trop bas ». En réalité, cette concurrence déloyale n’est rien d’autre que le soleil ! Cette pétition s’achèvera alors par la demande d’une « loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, (…) par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons » mais qui ne sera heureusement jamais promulguée. Bastiat tentera ainsi au fil de son œuvre de démontrer l’absurdité du protectionnisme.
Pour savoir si le libre-échange est préférable au protectionnisme, la question qui se pose est de savoir si le fait d’échanger enrichit mutuellement les parties. Théoriquement, c’est le cas. Mais en pratique ? À moins de nier la réalité, on ne peut affirmer le contraire : le libéralisme économique a, en moins de 200 ans, permis à plus d’un milliard d’individu d’atteindre le standard de vie d’un occidental actuel. Le phénomène a d’ailleurs tendance à s’accélérer : selon l’OCDE, plus de 450 millions de chinois et plus de 300 millions d’indiens ont atteint notre standard de vie ces 20 dernières années.
Politiques, mondialisation et concurrence des États
Avec un peu de recul et au vu des derniers arguments avancés, nous pouvons affirmer que le bon choix fut effectué lorsque les pays se sont ouverts au libre-échange. Pourtant, si le libéralisme a enrichi rapidement de nombreux États, certains recommencent à développer le réflexe du protectionnisme, notamment face à la mondialisation.
Ce dernier terme est souvent déformé et inutilement complexifié. « Il faut remettre la France dans les rails de la mondialisation » affirme t-on à droite, tandis qu’à gauche, certains vont même prôner une « démondialisation ». Qu’est-ce que la mondialisation ? Simplement, la mise en concurrence des États. Cette concurrence peut être de nature juridique, fiscale, sociale ou politique. Autrement dit, la mondialisation n’est que l’expression de la marche forcée des États vers l’excellence : à partir du moment où l’État français entre en compétition avec ses voisins, cela ne peut être que bénéfique pour les individus que nous sommes. Évidemment, l’homo politicus ne vous l’affirmera jamais : pour un sortant de l’ENA, il n’existe que des « paradis fiscaux » alors que pour un économiste, la Suisse, les Iles Caïman ou les Caraïbes ne sont que l’expression de la concurrence fiscale, et les individus, par définition libres, sont à même de pouvoir choisir.
Pourquoi l’homme politique est-il voué à conspuer la mondialisation ? Simplement parce que la mondialisation a cette redoutable conséquence de tuer la construction théorique qu’est la nation (à partir du moment où vous pouvez mettre en argent là où l’État vous volera le moins et produire là où cela vous coûte le moins cher, la préférence nationale s’efface) et de réduire la place de l’État (la concurrence fiscale implique de fait la question « qui prélève le moins ? », or, moins l’État a de moyens, moins il peut agir au sein de la sphère économique), d’où la répugnance de l’homme politique à son égard.
À l’inverse, et c’est là un grand paradoxe, personne ne s’étonne que, entre la démocratie et la tyrannie, les peuples finissent toujours par opter pour la première solution alors que c’est la concurrence sur le plan politique qui les a amené à faire ce choix. Autrement dit, nous blâmons la concurrence fiscale et juridique alors que nous nous félicitons de la concurrence politique.
Nonobstant cet aspect de la réalité, le politique va à l’encontre de la mondialisation car croit aveuglément que l’État court à la catastrophe en s’engageant dans cette voie : « la mondialisation a tué le paysage industriel français » affirme certains. L’argument est ressassé et l’affirmation est vraie, mais n’est pas condamnable pour autant. Que se passe t-il actuellement en France ? Ni plus ni moins que ce que Alfred Sauvy appelait la « théorie du déversement » : nous glissons irrémédiablement du secteur secondaire (industriel) au secteur tertiaire (production de service) ; autrement dit, les emplois se déversent d’un secteur à l’autre, tels des vases communicants. Aujourd’hui, 71,5 % de la population active, soit plus de 16 millions de Français produisent des services et participent ainsi activement à la croissance. Ces chiffres à l’appui, il devient dès lors aisé de démontrer à n’importe quel orateur que les secteurs primaires et secondaires ne sont pas les seuls à produire de la valeur ajoutée. Pourquoi devrions-nous lutter contre cela ? Rappelons-nous que personne n’a manifesté quand nous sommes progressivement passé du secteur primaire (l’agriculture) au secteur secondaire…
Mais comme d’habitude en économie, il y a « ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas » : l’homme politique peste contre les délocalisations qu’il croit à tort destructrices d’emplois puisqu’il ne se pose aucune des deux questions fondamentales : pourquoi délocalisons-nous ? Quelles sont les conséquences de ces délocalisations ?
Délocalisations : causes et conséquences
La première des raisons expliquant les délocalisations est le rapprochement des marchés : avec l’éveil de l’Asie et de l’Inde, des industries comme Renault ou Citroën ont tout intérêt à délocaliser : un marché potentiel de plus de 2 milliards d’individus s’offre à eux !
Deuxièmement, les entreprises délocalisent afin de profiter de la concurrence qu’offre la mondialisation : c’est le syndrome du « pauvre petit chinois ». En effet, les entreprises sont incitées, face à l’importance de la fiscalité et du droit du travail existant au sein des pays développés, d’aller s’installer ailleurs afin de profiter d’une main d’œuvre peu coûteuse et ainsi réaliser d’énormes profits sur le dos de pauvres travailleurs étrangers.
Redécouvrons les choses ensembles : que se passe t-il lorsque nous offrons du travail aux Chinois, Indiens, Indonésiens ou Taïwannais ? Premièrement, et cela est à souligner, nous ne les exploitons pas : personne ne les force à venir travailler dans les usines que nous ouvrons et nous les payons pour cela, nous leur distribuons des salaires ; autrement dit, nous les enrichissons. Deuxièmement, ces mêmes ouvriers, bien que peu coûteux, demeurent non qualifiés. Nous ne pouvons ainsi leur faire produire que des produits à faible valeur ajoutée. Or, une fois enrichis, ces mêmes travailleurs souhaitent se procurer des produits à fortes valeur ajoutée ; vers qui se tournent-ils ? Vers nous. Nous leur vendons des centrales nucléaires, des TGV, du champagne, du vin, du luxe, du tourisme, de la gastronomie et j’en passe. Nous avons abandonnés nos emplois peu payés car ne nécessitant peu de qualifications mais nous coûtant cher au profit d’emplois qualifiés hautement rémunérés ; en passant, nous sortons des millions d’individus de la pauvreté. Que demander de plus ?
Effets du protectionnisme en France
Pour connaitre la dangerosité des idées politiques allant à l’encontre de la mondialisation et du libre-échange, il faut nous poser la question suivante : que se passerait-il à l’heure actuelle si nous fermions nos frontières et appliquerions des droits de douanes aux produits étrangers ? Des pénuries et une hausse généralisée des prix. Pourquoi ? Tout simplement parce que la France ne produit plus certains biens et services depuis longtemps : l’ensemble des produits à faible valeur ajoutée sont en effet massivement importés. Manque de chance pour le ménage français, il est le premier consommateur de produit à faible valeur ajoutée et ce, de l’aluminium au dentifrice en tube (allemands) en passant par le t-shirt ou le jean (asiatiques). Cessons d’importer et nous viderons les rayons.
Évidemment, n’importe quel économiste vous dira que la perspective de profit ainsi dégagée permettra la renaissance de l’industrie et de l’emploi français, mais à quel coût ? Le problème français ne réside pas dans sa productivité (qui est la plus élevée du monde) mais bien dans sa compétitivité : lorsque deux employés français coûtent le prix de trois (les cotisations patronales sont de 60% actuellement), le prix de la production augmente de manière exponentielle et ne saurait faire face à la concurrence étrangère. La France, malgré son coût du travail très élevé, possède un avantage comparatif majeur dans la concurrence mondiale : ses enfants sont non seulement productifs mais également très qualifiés. Le salut français réside donc dans la production de bien et service à forte valeur ajoutée, à savoir : santé, hautes-technologies, industrie du luxe, etc.
Les solutions pour sortir de la crise actuelle sont donc : former les ouvriers d’hier à produire des produits à forte valeur ajoutée demain ou réduire le coût du travail de manière significative de manière à ce que même sur les produits à faible valeur ajouté, nous puissions être compétitifs. Quant à l’idée que notre absence de compétitivité à l’exportation viendrait de la monnaie euro, l’argument n’en est pas un : pourquoi l’Allemagne arrive t-elle à être un des premiers exportateurs mondiaux alors que nos voisins d’Outre-Rhin exportent comme nous, en euros ?
Au total et finalement, il est important de souligner que, certes les délocalisations détruisent de l’emploi, mais cela en crée à l’étranger et enrichit ainsi les pays en développement, qui pourront en contre-partie nous acheter les produits sur lesquels nous sommes restés compétitifs et/ou compétents. Instaurons un protectionnisme aux frontières françaises et nous cautionnerons pénuries, inflation et maintien de la pauvreté dans le reste du monde au motif de conserver quelques milliers d’emplois peu qualifiés, peu gratifiants et très coûteux.