En UMPie, la vengeance est un plat qui se mange chaud. A peine le soutien (à titre personnel) de François Bayrou à François Hollande connu, l’UMP a annoncé sa sanction : la présentation d’une candidature, aux élections législatives, contre le Béarnais, pour compliquer sa réélection en lui enlevant le maximum de voix de droite dès le premier tour. Vengeance, mais aussi préparation de la recomposition du paysage politique post-Sarkozy : décapiter le centre incontrôlable qu’a été le MoDem ne serait pas inutile pour reconstruire l’hégémonie de l’UMP et de ses satellites.
Immédiatement, la balle a été renvoyée dans le camp d’en face. Comment traiter le cas Bayrou ? Il est complexe : le candidat centriste défend la rigueur dans laquelle François Hollande refuse de voir l’alpha et l’oméga de la politique économique ; et s’il a soutenu à titre personnel le vote Hollande à trois jours du second tour, il a laissé la liberté de choix à son parti, et bien précisé qu’il n’y avait pas de préalable ou de marchandage à sa prise de position. Aux socialistes et à leurs alliés de décider de voir le verre à moitié plein ou à moitié vide : concrètement, décider par courtoisie et reconnaissance de ne pas entraver plus encore la réélection du député centriste en ne présentant pas de candidat face à lui, sans en tirer de conséquences politiques plus larges ; ou au contraire, en s’appuyant sur les divergences programmatiques et les conditions de son soutien d’entre-deux-tours, maintenir un candidat face à lui. Un dilemme qui prend aussi la couleur d’un choix entre pragmatisme du gentleman agreement, et principes idéologiques.
Et si une décision a finalement été prise mercredi par la direction du PS – maintien de la candidate socialiste initialement investie, Nathalie Chabanne, en tout cas au premier tour – les prises de position publiques des uns et des autres sont fort instructives. Certains dirigeants socialistes – Pierre Moscovici, Vincent Peillon, Ségolène Royal – ont publiquement défendu un geste envers François Bayrou (Rappelons-le, les deux derniers ont soutenu, lors du dernier congrès du PS, la ligne de la coalition arc-en-ciel, favorable à une ouverture en direction des démocrates, à condition que la gauche soit préalablement rassemblée). Martine Aubry, qui a tranché dans le sens inverse, est elle arrivée à la tête du PS sur un positionnement de refus de tout accord – au plan national – avec les centristes. Les positions actuelles des uns et des autres recoupent donc des débats plus anciens au sein du socialisme français. Mais ils s’expliquent aussi par le nouvel élément dans l’équation politique nationale : le Front de Gauche.
Le Parti de Gauche a sans doute été parmi les premiers à réagir au cas Bayrou, par un communiqué sous forme de mise en garde : tout « geste » du PS visant « à soutenir la candidature de François Bayrou » serait « une mauvaise indication en ce tout début de quinquennat pour tous ceux qui rejettent les alliances avec le centre ». Traduction en langage ordinaire ? Toute la rhétorique mélenchonienne consiste à postuler l’existence de « deux gauches », l’authentique incarnée par le Parti de Gauche et ses alliés du Front du même nom, et la social-libérale que serait le PS. S’appuyant sur l’exemple de la Grèce ou de l’Amérique du Sud, il prophétise que le destin de cette « fausse » gauche est d’inexorablement se droitiser, et de s’allier avec le centre pour mener une politique de renoncement et d’accompagnement des pouvoirs financiers et économiques. La démonstration est pourtant compliquée à faire, avec un Parti socialiste français dont la spécificité est d’avoir toujours su concilier une aile gauche et une aile plus modérée en son sein, de Gérard Filoche à Michel Destot. Or le Parti de gauche n’a pas de raison d’être si cette analyse sur les deux gauches ne se vérifie pas. Dès lors, tout le jeu que l’on peut prévoir pour lui, durant le quinquennat qui s’annonce, va être de guetter et de mettre en avant chaque signe permettant d’étayer la théorie de la gauche de renoncement. Et quel plus beau signe, quel signe plus symbolique, qu’un « soutien » du PS, fût-il exceptionnel, à « l’homme de droite », comme dirait Mélenchon, qu’est Bayrou ?
La volonté d’éviter ce piège – le premier d’une longue série ? – a probablement pesé lourd dans la décision qui est pour le moment celle du Parti socialiste.
Romain Pigenel