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[Feuilleton] "Le Retour d'Arkadina" de Liliane Giraudon, 4/13

Par Florence Trocmé

Poezibao publie en feuilleton Le Retour d’Arkadina, une pièce de Liliane Giraudon, en 13 épisodes. Voir ici l'avertissement de Liliane Giraudon. (épisodes précédents : 12, 3)   
 
 
Lui ? Une loque. 
Un auteur en loques. 
Nous ? Des locataires.  Des traversées. 
Nous sommes traversées. 
Leurs textes nous traversent
La musique a ses lois. Sa grammaire. 
Pas de phonétique ni de syntaxe. 
Moi j’ai joué mon existence sur un chiffre. 
Comme l’autre. 
Rappelez vous : 
Une jeune fille vit depuis son enfance au bord d’un lac, une jeune fille comme vous ; elle aime le lac comme une mouette, elle est heureuse et libre comme une mouette. Mais un homme passe par là, la voit et par hasard, par désœuvrement lui prend la vie, comme si elle était une mouette. 
J’ai joué mon existence sur un chiffre. 
 
Alias Trigorine : 
Ne vois là dedans rien d’autre que ce que tu refuses d’entendre.  
Je passe mes journées à attendre.  
Mais ce n’est pas un poids. Ni même une souffrance. 
Je reste là, dans ce temps suspendu.  
Moi qui ai toujours fui les lieux de silence.  
Tu sais bien et mieux que personne à quel point je tenais à ce voyage.  
Au bout du compte on peut dire que ce n’est pas moi qui résiste mais mon corps, toute ma carcasse.   
Ce qu’auprès de moi tu as trouvé de toi t’effraie.  
Quelque chose où il entre beaucoup d’évènements logiques que tu as toujours pris soin de ne pas établir. 
L’imagination de l’espace peut devenir un véritable trou.  
Tes colères ont toujours eu cet aspect humide, répugnant pour les autres.  
 
Alias Nina : 
Les femmes surtout.  
 
Alias Trigorine : 
Il sera toujours question de femmes entre nous.  
Et c’est un point bien obscur car ni toi ni moi n’en viendrons à bout. 
Souviens-toi de cet auteur tchèque dont tu as vu les livres dans ma chambre. 
Celui qui t’intriguait parce qu’il assurait qu’on n’est  rien qu’une flaque de pisse si on croit être celui dans le corps duquel on s’éveille.  
Parce que toujours on est un autre.  
Celui que depuis l’enfance on s’escrime à vouloir démolir, effacer.  
Ce type ne tient pas plus de place qu’un nuage sur nos têtes.  
Un radis noir.  
Je ne le traduirai pas puisque ce travail, j’y ai en partie renoncé. 
Il ne sera donc jamais traduit, ce qui signifie qu’il n’existe pas.  
On ne lira jamais ses livres. Deux fois mort. 
Je vais le tuer une deuxième fois. 
 
Alias Nina 
Les femmes aussi sont des livres.  
À traduire. 
 
Alias Trigorine
 : 
L’attraction a ses mystères.  
L’angoisse souvent lui est liée. 
J’ai toujours su qu’il ne fallait pas souffrir comme on dort mais plutôt comme on marche. 
Ou comme on mange.  
Si on ne devient pas actif à l’intérieur de sa propre souffrance elle vous emporte.  
Tout m’empêcherait de simplement imaginer qu’une nuit je pourrais me retrouver entre tes cuisses.  
Découvrir cette autre ville si différente de celle où tu as vécu, et que je désirais tant que tu connaisses.  
La dernière fois aussi c’était  l’été.  
Mais tu verras là-bas, c’est presque doux.  
Les promenades dans les parcs et les jardins sont interminables. 
On peut facilement s’endormir.  
Les nuits sont tièdes et n’ont pas cette moiteur d’ici. 
Il y a une boisson à base de menthe fraîche, légèrement alcoolisée, et qu’on peut se faire monter dans les chambres à n’importe quelle heure. 
 
Alias Nina : 
Je n’aurai donc pas eu un seul voyage de toi.  
 
Alias Trigorine
 : 
Je te parle comme les autres à une femme interdite. 
C’est sans doute là notre drame.  
C’est que dès le premier instant cette chose m’a fait trembler puis rendu fou. 
Dans notre histoire il n’y a pas de langue ni de syntaxe.  
 
Alias Nina : 
Pour toi surtout.  
 
Alias Trigorine : 
En ce qui me concerne, ce n’est pas un hasard si je deviens totalement impuissant. 
Comprends moi.  
Tous vivent enveloppés dans une rêverie profonde. Semblables à ce fard.  
Ce avec quoi tu enduis ta peau. 
  
Je te l’ai dit. Je le répète. 
Tous les bateaux et tous les ponts ils sont détruits.

prochain épisode (5)  le lundi 14 mai 2012 



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