Penser la politique en fonction des slogans peut paraître une démarche réductrice. Mais après tout, un slogan est par définition ce qui surnage des projets et des textes programmatiques dans lesquels on se plonge rarement avec exhaustivité ; c’est ce qui est donné aux électeurs, comme un contrat et une clé de lecture pour les propositions en présence. Jean-François Copé vient de dévoiler celui qui a été adopté par l’UMP orpheline de Sarkozy pour les prochaines élections législatives : « Ensemble, choisissons la France ». Que nous dit-il de la principale force à droite ?
Commençons par un rapide retour en arrière. Au cours des derniers mois, l’UMP et Nicolas Sarkozy ont produit un certain nombre de mots d’ordre : il y eut d’abord, à l’automne, le « parti qui veut éclairer le chemin », antienne quasi mystique que j’analysais alors comme un aveu implicite d’impuissance ; puis en début d’année, au moment de la présentation du projet UMP, « Protéger et préparer l’avenir des enfants de France » ; puis encore le cri de guerre du président-candidat, « la France forte » ; et aujourd’hui donc, ce choix de la France qui devrait être fait ensemble.
Le lecteur pardonnera d’éventuels oublis de ma part. Mais le « chemin » ici tracé est déjà révélateur. Les deux premiers slogans, non directement liés à Sarkozy, visent l’avenir et emploient des termes sans connotation négative, voire rassurants : on parle « d’éclairer », de « protéger », on évoque les « enfants ». Les deux derniers se recentrent sur la France : pas la République, mais la France, « forte » ou tout court. L’idée d’une « France forte » est encore polysémique et peut faire référence à l’objectif de protection qu’affichait le titre du projet UMP en début d’année. Mais toute ambiguïté disparaît avec le « choisissons la France » qui ornera les affiches des candidats aux législatives.
A en croire l’AFP, c’est d’abord « choisissons la France » qui a été retenu, avant que le « ensemble » ne lui soit ajouté dans la version définitive. L’ajout est à la fois révélateur et vain : cet « ensemble » fait partie des termes vides de sens que l’on ajoute, en langage politique, aux slogans ou noms de clubs pour la forme, et qui n’engagent en rien. Il vise ici probablement à adoucir ce « choix de la France », qui est, au bout du compte laissé intact. Le sens aurait été tout autre si on avait parlé d’une « France rassemblée ». Mais les ténors de l’UMP savent très bien ce qu’ils font en sélectionnant au contraire le choix, « ensemble », de la « France » sans plus de précision.
La France forte disait au moins quelque chose de la vision de la France du candidat sortant (aussi vague que soit cette indication) et faisait donc porter le déabt sur la conception du pays. Le mot d’ordre de Copé marque à la fois un appauvrissement et une radicalisation : non seulement il ne dit rien de la France que veut l’UMP, mais il accuse directement celles et ceux qui ne voteront pas UMP de ne pas opter pour la France. A la France forte s’opposait la France faible de Hollande ; à la France s’oppose … on ne sait au juste quoi : les traîtres à la patrie, les porteurs de drapeaux maghrébins à la Bastille, l’étranger en général ?
La manœuvre est brutale, grossière, et est la marque indubitable d’un parti aux abois. Car ce slogan ne s’adresse sans doute pas tant aux plus de 50% d’électeurs qui, avec Hollande, auraient fait le choix de la non-France (l’anti-France?) qu’à cette douloureuse épine dans la pied de l’ex-majorité qu’est le Front National. Frôlant les 20% au premier tour, le parti de Marine Le Pen fait peser sur l’UMP l’ombre menaçante des triangulaires en cascade, ainsi que celle des accords locaux en ordre dispersé entre droite et extrême-droite. Et dans le débat consistant à savoir si la stratégie Buisson a fait monter le FN, ou a au contraire permis de l’endiguer, Copé et les siens ont visiblement nettement tranché pour la deuxième option. Sauver l’UMP, en faisant rentrer les électeurs FN au bercail de la droite traditionnelle, avant de penser à un retour aux responsabilités ? Un bien long et tortueux chemin à « éclairer ».
Romain Pigenel