LE MAL D’ANDRÉ
Voulant
Obtenir un rendez-vous galant
Avec Mathilde, la femme
De Maître Caurame
Etienne,
Beau capitaine,
Implorait la dame
En termes attendris.
Elle résistait.
Cependant elle se sentait
Négligée par son mari.
Un jour, le notaire
Partit
Une semaine à Paris
Pour affaires.
Mathilde, libre comme l’air,
Aimée par le militaire.
Céda,
Non sans réticence,
A l’insistance
Du soldat :
-Mathilde, mon amie,
Ma chérie
Entrons chez vous.
Votre maison est à deux pas.
Ne voulez-vous
Pas ?
-J’ai peur, de ce qui arrivera.
Etienne la serra dans ses bras :
-Vos domestiques sont à l’étage.
Ils n’entendront nul tapage.
Elle tomba défaillante,
Palpitante
Sur le divan.
Etienne se mit à genoux devant
Elle et la déshabilla lentement,
Elle sortit de ses jupons
Comme une main sort d’un manchon.
Puis toujours effarouchée,
Mathilde s’étendit sur le lit
Et alla cacher
Son visage sous le polochon.
Etienne en hâte l’y suivit.
Mais dans sa précipitation,
Son sabre tomba sur le parquet glissant
Avec un bruit retentissant.
Consternation !
Aussitôt, un cri aigu,
Un cri d’enfant partit
De la pièce contiguë
Sapristi !
La porte était ouverte
Ou restée entrouverte.
Mathilde murmura :
-Madré !
Tu viens de réveiller André.
Il ne pourra
Se rendormir sans moi.
Son fils avait quinze mois.
Il couchait près d’elle
Afin qu’elle
Pût, la nuit,
Veiller sur lui.
En bon baroudeur,
Le militaire, fou d’ardeur,
Susurra, courtois :
-Je t’aime, tu es à moi !
Mathilde se débattait :
-Si la nourrice descendait ?
Quand il crie ainsi la nuit,
Son père le prend dans notre lit
Pour l’apaiser.
Ainsi, André se tait, épuisé.
Permets-moi de le prendre, Etienne.
Le capitaine
Consterné, laissa
Faire la mère qui alla
Chercher le mioche
Qui méritait des taloches.
Elle l’apporta dans la couche.
Minouche,
Il se tût, se rendormit.
Mathilde remit
Son lionceau
Au berceau.
Quand elle revint se coucher
Le biffin amouraché
L’enlaça.
Sous le duvet.
Elle balbutia :
-Si tu savais
Comme je t’aime, mon ami !
Trois fois de suite,
André il fallut le recoucher
Trois fois de suite
Sa mère dût le rechercher.
Pour calmer son amant,
Mathilde lui dit encore :
Reviens demain, trésor.
Le lendemain, en parfait gentleman,
Etienne, excité mais reposé
Revint. Il eût soin de poser
Son sabre avec douceur
Sur le radiateur.
Il parlait si bas
Que Mathilde ne l’entendait pas.
Enfin, ils allaient être heureux
Tous les deux, amoureux.
Etait-ce la baraka ?
Non, le lit craqua.
Aussitôt le cri maudit,
Suraigu y répondit.
Le nourrisson
Allait réveiller
Toute la maison.
La mère affolée
S’élança et au lit le rapporta
Étienne, lui, ne se leva pas.
Mais le marmot recommença
À brailler. Le capitaine jura :
-Tonnerre !
Ce morveux-la
Ne va t-il pas se taire !
Non, il beuglait
Comme si on l’étranglait.
Mathilde s’élança :
-Viens, bébé joli…
Elle le rapporta
Dans son lit.
Le marmot.
Devint muet aussitôt.
Alors Etienne prit, entre deux doigts,
Un peu de chair du rabat-joie
Aux fesses et à la cuisse.
Et il pinça.
Supplice !
André hurla.
Le capitaine pinçait,
Pinçait. Il saisissait
Vivement
Un bourrelet, le tordait
Serrait violemment,
Puis lâchait
Pour en prendre un autre
Puis un autre.
L’enfant lançait des clameurs
Comme celles d’un porcelet placé
Sous le couteau d’un égorgeur.
La mère l’embrassait,
Le caressait,
Essayait de le calmer.
Mais il devenait violet. Brimé,
Il agitait ses petits pieds
Et déployait
Ses mains d’une façon effrayante
Navrante.
Tout son corps vibrait de secousses.
Le capitaine dit d’une voix douce :
« Remets ton vermisseau
Au berceau ;
Dans ses draps,
Il se calmera. »
Hors du lit de la mère,
Les cris s’apaisèrent.
André bien
Tapi dans le sien
Se tût.
Le reste de la nuit fut
Tranquille.
Les amants poursuivirent leur idylle.
La nuit suivante, Etienne revint encore.
Comme il parlait un peu fort,
André se réveilla de nouveau
Et se mit à glapir.
Sa mère courût le sortir du berceau.
Etienne, pour le punir,
Pinça si durement,
Si longtemps
Que le marmot
Suffoqua,
Ecuma.
On le remit dans son berceau.
Il se calma aussitôt.
Au bout de quatre jours,
Il ne pleurait plus pour
Aller dans le lit maternel.
Etienne pouvait aimer sa belle.
Le notaire revînt le samedi.
Il accomplit
Ses devoirs conjugaux,
Tout de go.
Il s’étonna : « André ne pleure plus ?
Va donc le chercher. En plus,
Ça me fait plaisir
De le sentir
Couché entre nous. »
La femme alla
Prendre le minou.
Coincé entre Mathilde et le notaire
André hurla
Tant
Qu’il fallût, pour le faire taire
Le reporter dans son berceau.
Maître Caurame,
Dam,
N’en revenait pas :
« Qu’est-ce qu’il a ?
Peut-être n’a-t-il pas
Sommeil ? »
« Il a toujours été sage
Pendant ton voyage. »
Au matin, lors de son réveil
L’enfant se mit à jouer et rire
Attendri, le rond de cuir
Accourût, l’embrassa
Puis le porta,
Triomphal,
Dans la couche conjugale.
André aperçût le grand
Lit, sa mère allongée dedans.
Sa figure se plissa,
Se décomposa.
Des cris furieux
Sortaient de sa gorge irritée,
Des larmes énormes, de ses yeux.
Il se démenait
Le père étonné
Dit : « il a quelque chose ce bébé. »
Il le saisit. Un instant,
Resta bouche bée.
Puis fulminant,
Il lança un « ah ! » de stupeur.
HORREUR !
Le corps du petit était marbré de taches bleues.
– « Mathilde, regarde, c’est affreux,
Indubitable.
Il a sûrement une maladie effroyable,
Le commencement d’une sorte
De lèpre. Qu’importe,
Il faut aller chercher
Le docteur Vauchet. »
Mathilde, plus pâle qu’une morte
Poussa un cri irréfléchi, de cette sorte :
« Oh, le misérable ! »
Le notaire, surpris, lui demanda :
« Hein ? De qui parles-tu ?
Quel misérable ? »
Elle devint d’un rouge nacarat
Jusqu’aux cheveux et balbutia :
« Rien… C’est… Vois-tu… »
– « Je devine… C’est… C’est assurément
La misérable Marie,
Cette perverse nourrice,
Qui le pince méchamment,
Lui inflige un tel supplice
Pour le faire taire quand il crie. »
Le notaire convoqua Marie
Et faillit la battre
Comme plâtre.
Elle nia avec effronterie.
Sa conduite ayant été signalée à la mairie,
Marie, licenciée, n’a pu trouver, ma foi,
Aucun nouvel emploi.
Ella DIHUIS