Éditions Finitude
Bien connu comme scénariste pour ses collaborations avec Théo Angelopoulos, Thanassis Valtinos l’est un peu moins en France comme écrivain, quoiqu’il y soit de plus en plus traduit. Ainsi les éditions Finitude, qui n’en finissent pas de jouer leur rôle de défricheur, regroupent-elles ici douze récits, dont le plus ancien, qui donne son titre à ce recueil, date de 1960. L’ampleur chronologique est d’ailleurs intéressante en soi, permettant de constater qu’un écrivain n’en finit jamais de débrouiller le même écheveau : la variété de formes dans laquelle le temps l’enveloppe n’en affecte au fond pas grand-chose.Aussi bien, tous les récits de Valtinos ont à voir avec une réalité grecque que taraude bien souvent l’esprit de la guerre, lequel pèse d’abord sur les humbles, les travailleurs, ceux qui n’affichent ni prétention ni ambition, et du genre plutôt taiseux, des vaincus pour la plupart. Gilles Ortlieb a raison, dans son avant-propos, d’écrire que la « couleur locale » de ce recueil s’estompe assez vite, au profit d’une unité narrative et d’une tonalité assez imperturbables. Aussi, une fois que l’on s’est accoutumé à la matière très épurée de ces textes, à cette manière un peu blanche de rapporter tant d’événements intimes, en épousera-t-on d’autant mieux la grâce un peu mélancolique, tantôt résignée, tantôt nettement plus sardonique, et toujours plus moderne que ce que pourra laisser une première impression. Cette narration un peu glaciale, presque atone, peut au départ laisser craindre que l’auteur s’applique à un style, qu’il se tient à une méthode, qu’il vise à un objectif esthétique déterminé : or non, pas spécialement ; et cette façon bien à lui, sèche, distante, faussement nonchalante, d’une neutralité qui tourne au jeu, nous renvoie finalement à un sentiment très carné d’humanité. Ce qui nous laisse à penser au passage que Thanassis Valtinos est sans doute très présent dans ces portraits d’hommes et de femmes, courageux sans forfanterie, orgueilleux par noblesse d’âme, fiers sans doute de leur patrie, toujours un peu circonspects quant à ce qui anime les intentions du voisin – mais toujours là pour s’assurer qu’il se porte bien, voire pour le secourir.
J’aurais aimé parfois que certains récits aillent plus loin, qu’ils malaxent un peu plus de chair, qu’ils acceptent, en quelque sorte, d’épaissir ce qu’ils dévoilent. Il n’empêche que nous quittons chacun d’entre eux en emmenant avec nous une projection paysagère particulière, quelque chose qui s’ajoute comme en surimpression aux seuls événements que les mots dessinent. Et que nous les quittons sans que s’estompe la petite voix singulière, et authentique, d’un très grand écrivain.
Traduit du grec par Gilles OrtliebCritique parue dans Le Magazine des Livres, n° 13, décembre/janvier 2009