Le cinéma déjanté d’Hitoshi Matsumoto ne ressemble à rien de connu. A la rigueur, à certains des films burlesques de Kitano – mais dans un style très différent – ou au comique visuel et poétique d’un Jacques Tati – mais imprégné des traditions nippones…
Il est clair que ses films sont tournés dans un style très personnel, qui aime à surprendre le spectateur. Après les curiosités qu’étaient Dai-Nipponjin et Symbol, le cinéaste continue dans la même voie, entre comique bien barré et veine plus dramatique.
Il ne faut pas bien longtemps à son Saya Zamuraï (1) pour entraîner le spectateur dans un univers totalement fou, le propulser sur des sortes de montagnes russes qui le feront passer par de nombreuses émotions contradictoires.
Les premières images montrent un vieux bonhomme à lunettes, vêtu d’un kimono usé, courir dans la forêt, poursuivi par une gamine adorable.
Cet ancien samouraï a jeté son sabre depuis la mort de son épouse et traîne désormais son mal-être existentiel de village en village, au grand désespoir de sa fille qui ne supporte plus de le voir aussi dépressif et apathique, indigne du code d’honneur des samouraïs.
Evidemment, la perte de son arme le rend vulnérable aux attaques de ses anciens ennemis. Et ceux-ci en profitent allègrement!
La première partie du film consiste en effet en une succession d’attaques totalement délirantes où le héros se fait à chaque fois amocher par des adversaires non-moins délirants – une joueuse de shamisen sournoise, un garçon efféminé armé de pistolets et un chiropracteur neuneu.
Le sang coule à flots, les chairs sont éclatées – non, ne fuyez pas, ce n’est pas du tout un film d’horreur - mais le vieux binoclard s’en sort à chaque fois, grâce aux onguents appliqués par la gamine. Celle-ci s’emporte contre son manque de combativité, essaie de le faire réagir. En vain…
A ce point là du film, on commence à se demander vers quoi va tendre le film, avec une pointe d’appréhension car les personnages sont outranciers et les situations sont un peu trop déjantées pour convaincre…
Mais on n’a pas le temps de vraiment se poser la question car, hop, le film bifurque vers autre chose.
Le samouraï, dont la tête a été mise à prix, est arrêté par la garde d’un village et emmené jusqu’au seigneur local. Il est rapidement condamné au seppuku – ou hara-kiri – le suicide rituel par éventration. Mais, dans sa grande mansuétude, le seigneur lui laisse trente jours pour tenter d’échapper à son triste sort. Il sera gracié s’il parvient à faire sourire le fils du maître des lieux, plongé lui aussi dans une profonde catatonie depuis le décès de sa mère.
Le coeur du film est alors constitué de saynètes burlesque et poétiques montrant les efforts du samouraï pour tenter d’extirper ne serait-ce que l’ébauche d’un sourire sur le visage inanimé du jeune prince. Jour après jour, on le voit s’humilier en dansant bizarrement, en se déguisant, en se travestissant, en faisant des grimaces pathétiques, toutes les tentatives se retrouvant sanctionnées d’un tonitruant “Le seppuku reste prononcé!”.
Cela pourrait être répétitif et ennuyeux. Il n’en est rien…
Déjà car le cinéaste parvient à alterner les prises de vues, jouant soit sur la représentation elle-même soit sur les préparatifs du sketch, et mettant en place une petite mécanique comique parfaitement huilée.
Ensuite parce que les numéros du samouraï passent de tentatives simplistes et stupides, liées à des idées saugrenues, à des trouvailles de plus en plus démesurées et tarabiscotées.
Au fil des jours, le bonhomme s’investit de plus en plus dans sa drôle de mission, bien aidé par ses gardiens, deux drôles d’illuminés, et par sa fille qui, d’abord réticente, finit par s’impliquer totalement dans l’aventure.
C’est d’ailleurs l’évolution de cette relation qui mène à la dernière partie du film, beaucoup plus sensible et émouvante.
Au fur et à mesure, la gamine change complètement de regard sur son père. D’une attitude hostile, enjoignant le vieil homme à se suicider plutôt que d’accepter lâchement l’humiliation qui lui est imposée, elle passe à une certaine bienveillance, voire à une franche admiration quand le samouraï déchu regagne de sa superbe en s’attirant la sympathie du village entier, de ses ennemis et même du seigneur en personne grâce à ses performances de saltimbanque.
Cette mission, pour lui, ne consiste pas vraiment à faire sourire ce jeune prince amorphe. Ce qu’il cherche à faire, c’est à regagner sa dignité, son honneur, et faire en sorte que sa fille soit fière de lui…
Il y parviendra finalement, après une ultime rupture de ton – un final bouleversant qui ne manquera pas de cueillir à froid le spectateur – et avec une petite chanson entêtante et émouvante façon Joe Isaïchi, comme les musiciens japonais savent si bien en composer.
Ce film surprenant fut assurément l’un de nos gros coups de coeur du dernier festival du film asiatique de Deauville.
Il aurait mérité de figurer au palmarès, ne serait-ce que pour récompenser les efforts de son auteur, Hitoshi Matsumoto, qui a su ici canaliser son imagination débridée et ses effets de mise en scène déments pour les mettre au service d’un film plus “classique”, plus “épuré” (tout est relatif…), qui fait la part belle aux acteurs (génial Takaaki Nomi en samouraï facétieux, craquante Sea Kumada en fillette au caractère bien trempé…), et qui, finalement, s’avère être l’une des plus belles et originales variations sur le deuil que l’on ait vu depuis longtemps…
Attendez un peu avant de vous faire hara-kiri. Allez d’abord découvrir ce film au cinéma. Il y a fort à parier que ses nombreuses qualités artistiques, son humour, sa poésie, vous redonnerons goût à la vie.
(1) : Titre que l’on peut traduire par “Samouraï sans sabre” pour ceux qui ne comprennent pas le japonais)
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Saya Zamuraï
Saya Zamuraï
Réalisateur : Hitoshi Matsumoto
Avec : Takaaki Nomi, Sea Kumada, Itsuji Itao, Tokio Emoto, Kazuo Takehara, Jun Kunimura, Takumi Matsumoto
Origine : Japon
Genre : Hara qui rit
Durée : 1h43
Date de sortie France : 09/05/2012
Note pour ce film : ●●●●●●
contrepoint critique chez : Les Inrockuptibles
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