Jean-Baptiste Joseph Pater (Valenciennes, 1695-Paris, 1736),
Troupes en marche, c.1725
Huile sur toile, 54 x 65,4 cm, New York, Metropolitan Museum
José Miguel Moreno, dont les amateurs goûtent aussi bien les incursions dans le répertoire espagnol que français qui l’ont souvent conduit à leur faire découvrir des œuvres peu fréquentées (je renvoie, par exemple, le lecteur curieux au très beau disque intitulé Pièces pour théorbes français) est un spécialiste incontesté des instruments à cordes pincées dont il joue et qu’il fabrique. Il nous revient aujourd’hui, après une assez longue période de silence, avec un nouvel enregistrement intitulé Phantasia, publié par le label Glossa.
Derrière ce titre se cache ce qui semble être, à la suite de celui signé par Stephen Stubbs en 1982 pour CPO, le deuxième
enregistrement intégral des XVI Auserlesene Lauten-Stücke (16 Pièces choisies pour luth), un recueil contenant en fait dix-sept compositions dues à un contemporain méconnu de
Silvius Leopold Weiss (1686/7-1750), David Kellner. La première partie de la vie de ce musicien, né vers 1670 à Liebertwolkwitz, à une dizaine de kilomètres de Leipzig, demeure assez obscure,
faute de documents. Il est probablement le plus jeune fils du maître d’école et cantor de son village qui lui apprit sans doute les rudiments de son art avant de l’envoyer, en 1693, finir ses
études à Turku (Finlande) où l’un de ses frères était organiste. À la fin du mois de juin 1694, Kellner s’inscrit à l’université de Tartu, une ville située aujourd’hui en Estonie où ses deux
autres frères étaient établis qui l’emploie, à compter du 11 février 1697, en qualité d’avocat.
Même si le titre les désigne comme des pièces pour luth, il semble bien que le compositeur, dont rien ne prouve qu’il le
maîtrisait, les ait conçues en ayant à l’esprit la technique propre aux instruments à clavier qu’il pratiquait en virtuose. Elles représentent une des ultimes floraisons d’un art que les
luthistes français du XVIIe siècle, dans la lignée desquels elles s’inscrivent, avaient su porter à un degré extrême d’excellence et de
raffinement, tout en intégrant les éléments de langage du baroque tardif tel qu’il avait cours en Allemagne depuis les années 1680,
José Miguel Moreno (photographie ci-dessous) aborde ce répertoire avec l’engagement et la subtilité qui font de chacun de ses
enregistrements des moments privilégiés. Le musicien semble avoir pris l’exacte mesure des compositions de Kellner et, s’il ne peut gommer totalement leurs inégalités ponctuelles d’inspiration,
il en tire indiscutablement tout le suc possible par une approche très directe qui dynamise le discours avec virtuosité tout en en respectant très soigneusement les équilibres ; la
Campanella offre un excellent exemple de cette manière avec le rythme parfaitement tenu de ses cascades qui ne contraint pour autant jamais la fluidité globale du flux musical.
Je recommande donc aux amateurs de musique pour cordes pincées du Baroque tardif d’aller écouter cette très belle interprétation de la musique pour luth de David Kellner que livre José Miguel Moreno. Ce disque réussi qui marque son retour dans les studios d’enregistrement donne l’envie de vite retrouver le dénicheur de trésors qu’il est et dont on réalise aujourd’hui à quel point il nous avait manqué.
José Miguel Moreno, luth baroque 11 chœurs
(José Miguel Moreno, Madrid, 2011)
1 CD [durée totale : 60’51”] Glossa GCD 920112. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Phantasia en la mineur
2. Campanella en ré majeur
3. Chaconne en la majeur
Illustrations complémentaires :
Anonyme, Vue de Stockholm, 1726. Eau-forte sur papier, 22 x 27,3 cm, Amsterdam, Rijksmuseum.
La photographie de José Miguel Moreno est d’Inés Moreno. Merci à Glossa.