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Should I stay or should I go ? (Anri Sala)

Publié le 09 mai 2012 par Marc Lenot
Should I stay or should I go ? (Anri Sala)

Anri Sala, Tlatelolco Clash, 2011

Dans le film Tlatelolco Clash d'Anri Sala, filmé Place des Trois Cultures à Mexico, une quinzaine de Mexicains, filmés en gros plan, viennent l'un après l'autre, tout au long d'une journée semble-t-il, introduire quelques cartons perforés dans un orgue de Barbarie dont nous ne voyons que le mécanisme. Les perforations des cartons peuvent évoquer les fenêtres d'un immeuble moderniste, mais aussi les gradins de la pyramide aztèque voisine; quelques-uns des protagonistes les utilisent comme pare-soleil, des rectangles éclairés apparaissent alors comme des scansions lumineuses sur leur visage ou leur corps à l'ombre. Il faut un instant pour reconnaître la mélodie, car, si on comprend vite que chaque bribe relève d'une même harmonie, on réalise aussi que l'ordre dans lequel nous les entendons, lié à l'arrivée plus ou moins aléatoire des quinze participants, n'est pas celui de la musique originelle. On perçoit enfin, remontant des tréfonds de notre mémoire musicale, la chanson de The Clash. Ce n'est qu'à la fin du film qu'elle sera reconstituée, audible entièrement, ordonnée.

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Anri Sala, vue d'exposition, Centre Pompidou, 2012

Cette expérience musicale quelque peu déroutante a été démultipliée dans l'exposition consacrée à Anri Sala au Centre Pompidou (jusqu'au 6 août) : la déstructuration du son effectuée par ce passage désordonné des cartons musicaux  est devenue une déstructuration visuelle où, sur cinq écrans sont projetés quatre films d'Anri Sala. Mais alors qu'on attendrait une certaine linéarité, une certaine narration, une suite ordonnée, ces quatre films ont été découpés en douze séquences qui s'entremêlent. Le plus long, sinon le principal, est 1395 days without Red, que

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Anri Sala, No Window No Cry (Renzo Piano & Richard Rogers, Centre Pompidou, Paris), 2012

j'avais (heureusement) déjà vu dans son intégralité, du début à la fin, sur un seul écran, assis dans un fauteuil (il faut préciser tout cela, composant intégral de l'expérience du regardeur, qui est ici aboli). En effet, d'une part, on navigue ici d'un écran à l'autre, soudain désemparé devant un écran noir (ou, à la fin, tous rouges) et devant migrer vers l'écran suivant (mais sans que la logique de la narration filmique en soit le moteur, comme chez Eija-Liisa Ahtila, plutôt pour modifier ainsi le rapport du spectateur au film, comme chez Boris Achour), et d'autre part l'ordre linéaire, temporel de la narration est aboli, perturbé, avec les trois autres films s'incrustant, stoppant le déroulement, soit seul (Answer Me), soit en duo (Le Clash et Tlatelolco Clash, simultanés).  Tout cela est, délibérément, fort perturbant, cette mise en scène complexe dans une sombre scénographie abolissant le rapport univoque au film, ôtant toute autonomie au spectateur qui doit subir et suivre, soumis à une 'exposition scénarisée' comme le dit Philippe Parreno dans le catalogue.

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Anri Sala, vue d'exposition, Centre Pompidou, 2012

Une fois qu'on s'en remet (et sans doute faut-il voir deux fois le cycle, rester deux heures, si on ne connaît pas déjà les films), on peut dépasser ce paradigme curatorial, ne plus s'en émerveiller ou au contraire s'en irriter, et tenter, malgré tout, de s'intéresser aux films eux-mêmes, à leur sujet, à leur rythme, car tous tournent autour de la musique et d'elle seule : à part les mots étouffés de la femme d'Answer Me et, je crois, une injonction du chef d'orchestre de 1395, on n'entend pas la voix humaine. Les personnages, et singulièrement l'actrice de 1395, ne sont que des corps, des souffles, des interprètes, eux aussi soumis à la musique comme nous le sommes à l'exposition.

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Anri Sala, Le Clash, 2010

Le Clash est une dérive avec orgue de Barbarie et boîte à musique autour de (et soniquement, dans) une salle de concert abandonnée (où je me souviens être allé il y a bien longtemps), inscription physique des corps musicaux (musiquants, devrait-on dire) dans un environnement délabré. La boîte à musique du film est aussi là, dans une bulle déformant une des vitres de la salle d'exposition, "unique proposition supposant une intervention du spectateur, qui peut l'activer", plus gadget que vraiment significative, à mes yeux (No Window No Cry, ci-dessus).

Should I stay or should I go ? (Anri Sala)

Anri Sala, Answer Me, 2008

Answer Me est un dialogue de sourd entre voix et batterie dans un  dôme géodésique berlinois, station d'écoute du temps de la guerre froide, bâtiment lui aussi désaffecté. Une dizaine de caisses dont les baguettes se mettent soudain à battre, merveille de l'électro-acoustique, sont aussi réparties dans l'espace d'exposition : là non plus, je ne suis guère convaincu par le 'plus' que cela pourrait représenter (non plus que par les deux mains mécaniques gantées à l'entrée, voir la vue d'expo ci-dessus), mais sans doute ai-je du mal à me laisser fasciner ici par ce qui n'est pas proprement filmique.

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Anri Sala, 1395 days without red, 2011

Le film principal, 1395 Days without Red est un chef d'oeuvre. L'histoire, puisqu'histoire il y a, même si tout est fait ici pour la déstructurer, est celle du siège de Sarajevo, qui dura 1395 jours, pendant lequel pour éviter les tirs des snipers (serbes), mieux valait éviter de se vêtir de couleurs vives. Tout trajet était une aventure (l'inverse de la dérive, justement), à chaque traversée d'une rue exposée aux tirs, les passants hésitaient, puis soudain se lançaient en courant pour franchir : comment décidait-on soudain d'y aller, tentait-on d'être aussi rationnel que possible, faisant mentalement un dérisoire calcul de probabilité ou bien s'en remettait-on désinvoltement au destin, ou à Dieu, comment jouait-on à chaque fois sa vie à pile ou face ? Mais ce n'est pas là l'histoire, même pas le décor : Sala filme dans le Sarajevo de 2011, reconstruit (on voit même à un moment dans le lointain une tour construite depuis la fin de la guerre), sans trace de destruction, sans impacts de balles ou de mortier, loin de l'histoire (dans le film on entend à deux reprises seulement je crois des détonations, tout à fait incongrues). L'histoire est celle d'un corps,

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Anri Sala, 1395 days without red, 2011

corps d'une femme, d'une musicienne qui tente de traverser la ville pour rejoindre une répétition de la sixième symphonie de Tchaïkovski  ('La Pathétique') par l'Orchestre Symphonique de Sarajevo (qui, d'ailleurs, continua à jouer pendant toute la durée du siège) dirigé par Ari Benjamin Meyers. La femme, interprétée par la très intense Maribel Verdù, est une des bassonistes de l'orchestre et dans sa marche à travers la ville, elle EST basson, elle fredonne sa partition et son corps devient instrument. Il n'y a ni début, ni fin, elle marche, l'orchestre répète, pas d'épilogue, c'est superbe.

Je suis donc sorti quelque peu désorienté de cette exposition, où le son prime sur l'image, où le scénario de l'exposition prime sur le scénario des films, où la narration est mise à distance, mais ce fut, je crois, une désorientation fructueuse.

Photo 7 courtoisie du Centre Pompidou, de l'artiste et de ses galeries. Photos 2, 3 & 4 de l'auteur.


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