Belle Famille

Par Irreguliere

Pourquoi Madec ne se divertissait-il pas ? Pourquoi regardait-il la vie, au lieu de la vivre ? Jamais il ne s'était senti malheureux, seulement il ne comprenait pas la nécessité d'aller à l'école, à l'église, chez le dentiste, de recevoir des cousins à dîner. S'il consentait à jouer le jeu, c'est qu'il guettait la moindre de ses parenthèses - ces instants où, fracassant le réel, l'imprévu pouvait éclore. Une parenthèse, c'était le nuage de craie qui provoque l'éternuement de la maîtresse ; c'était le reflet azur du vitrail coulant sur le nez de Julien Matis ; c'étaient deux grandes personnes qui s'aiment sans se le dire.

Arthur Dreyfus est un nom à retenir. Valeur montante de la littérature française contemporaine, à 25 ans il signe avec Belle Famille son deuxième roman, un roman étrange et inquiétant, qui nous met face à nous-même. Un roman à côté duquel, fort probablement, je serais passée, s'il n'avait pas fait partie de la sélection pour le prix Landerneau...

Une famille des classes moyennes, les Macand. Laurence et Stéphane sont cardiologues. Ils ont trois enfants, trois garçons. Des vacances en Italie. Les parents rejoignent des amis au restaurant et laissent les enfants seuls. Le petit Madec veut récupérer le porte-clé qu'un camelot lui a offert et que sa mère a caché tout en haut du placard de la cuisine. Il construit un échafaudage : le tabouret de bar, le couscoussier, puis Madec lui-même. Tout s'écroule. Madec meurt sur le coup. En le trouvant, au lieu de hurler, sa mère nettoie le sang et se débarrasse du corps...

Ce roman est brillant. A la manière d'un Stendhal, qui est d'ailleurs une de ses références, Arthur Dreyfus s'empare d'un fait divers qui a fait la une des journaux (la disparition de la petite Maddie, donc, qui par une étrange coïncidence revient actuellement dans les esprits), s'insinue dans ses marges et ses silences, et en fait un roman où l'important n'est pas tant le vrai que le vraisemblable, le monde possible de la fiction. On oublie alors le fait divers, dont finalement on ne sait pas grand chose, pour suivre les personnages, pour tout dire assez médiocres, peu sympathiques, à commencer par Laurence, la mère, snob, soucieuse des apparences et c'est à peu près tout, somme toute assez peu maternelle mais en revanche dominatrice et castratrice face à un mari faible. Un couple à vous dégoûter du couple, en fait, un couple englué dans sa banalité affligeante lorsque surgit le drame. Finalement, le seul personnage attachant dans cette famille Macand, c'est bien Madec, qui semble un peu venir d'une autre planète. Malheureusement, le roman tournant autour de sa mort déguisée en disparition, on le voit assez peu. Quant à l'événement en lui-même, l'auteur se garde bien de nous proposer quelque explication que ce soit : pourquoi Laurence maquille-t-elle la mort de son fils, dont elle est somme toute responsable mais pas coupable ? Nul ne le saura. En revanche, l'auteur s'intéresse de près à l'emballement médiatique qui suit la disparition supposée, l'actualité-spectacle, et nous propose une étonnante réflexion sur notre société et ses travers. Il y a aussi des choses difficiles, un thème douloureux, avec le personnage de Murdoch, accusé injustement à cause de son passé.

Il s'agit donc là d'un livre très riche et bien mené, qui aborde de nombreux thèmes, les entremêle, les tisse, grâce à une écriture à la fois très simple, presque une écriture blanche à la Camus (Albert donc, de son prénom, comme presque chacun sait), où domine le constat et l'absence de pathos, une mise à distance qui à l'occasion peut faire naître un sourire, mais d'où émerge, par moment, une vraie poésie.

A lire absolument, comme l'a fait Agathe !

Belle Famille

Arthur DREYFUS

Gallimard, 2012