Sans parler de l’usage immodéré d’expressions – je l’ai entendu ce matin – telles : « code génétique des japonais », l’ADN idéologique de Monsieur Machin etc…
C’est tout le mérite de Patrick Davous qui fut chef de service en neurologie – et excellent médecin - de ne pas tomber dans ce réductionnisme. L’auteur est un spécialiste. Mais son livre – Le nouveau totem (1) - s’adresse vraiment à chacun de nous. La retraite a du bon lorsqu’elle est mise au service de l’expérience et de la transmission. Le nouveau totem est une introduction attrayante au domaine souvent ésotérique de la neurologie contemporaine. C’est la folle histoire des recherches et découvertes scientifiques menées sur le cerveau. C’est l’illustration convaincante que la neurologie permet d’aborder simplement la complexité des fonctions cérébrales : mouvement, mémoire, langage. Ces brèves chroniques du cerveau parlent de tout : de Charcot, de Changeux, des neurones, des neurotransmetteurs, des IRM. Elles parlent du cerveau machine, du cerveau qui parle, qui met le corps en mouvement, qui mémorise, s’émeut, rêve, et enfin qui pense. On peut contester cet ordonnancement, par exemple, on ne comprend pas bien pourquoi le cerveau machine aborde Mesmer et son magnétisme et non la question de l’Intelligence Artificielle, mais je dirais que ce livre a les qualités et les défauts d’une chronique. Le défaut de « la pensée chronique ».
Repose en effet sur l’illusion de croire qu’en additionnant des chroniques, on constitue un livre, c’est-à-dire une argumentation. La chronique raconte des histoires, mais n’argumente pas un problème. Reste que les problèmes peuvent se loger entre les chroniques. Ce qui est le cas ici.
Il existe différentes manières de penser le cerveau. Aujourd’hui, par exemple, on ne se demande plus « quelle est la place de l'âme dans le cerveau ? » mais « quelle est la spécialisation fonctionnelle de certaines aires du cortex cérébral ? ». En bon neurologue, à la question « où réside l’intelligence ? » l’auteur répond dans le cerveau (p. 303). Mais il existe aussi une définition externaliste de l’intelligence qui place celle-ci non pas dans les cerveaux, mais entre eux, dans les artefacts, les mnémotechniques. L’auteur à la vérité délimite bien son terrain. Il n’est pas aveugle à la philosophie, mais il ne déborde pas de ses compétences. Un exemple : rares sont les neurologues qui dans le débat entre Changeux le neurologue et Ricœur le philosophe, donne raison au second qui affirmait : « Mon cerveau ne pense pas ». Concluons donc sur cette remarque de l’auteur : « Que des savants d’aujourd’hui cherchent à être les philosophes de demain peut se comprendre. Il est cependant à craindre que la philosophie n’ait rien à y gagner et les neurosciences non plus » (p. 317).
(1) Patrick Davous, Le nouveau totem, Petites chroniques du cerveau, Seuil, 21 euros.
Pour aller plus loin : Article source ici.