Ce n'est clairement pas sur Cleopatra na Onnatachi que j'avais mes vues à l'approche de la nouvelle saison nippone. Mais depuis quand c'est une raison pour bouder un pilote ?! Exactement. J'ai donc décidé de laisser sa chance à ce dorama, en dépit d'un a priori, je suis bien obligée de le reconnaître, assez négatif.
Les résultats sont beaucoup plus ambivalents qu'attendu, pourtant. Mais pour vous l'expliquer, il se peut que je vous dévoile quelques spoilers (certes, mineurs, mais spoilers quand même). Alors à vous de voir si vous souhaitez poursuivre l'aventure après l'image.
Tout commençait de façon fort peu originale, pourtant. Minetarou Kishi, un jeune praticien spécialisé dans la chirurgie réparatrice, débarque dans un cabinet de chirurgie esthétique haut de gamme, sans toutefois voir d'un bon oeil les pratiques surtarifées et superficielles de l'endroit, entièrement peuplé par des femmes qui plus est.
Et pourtant, déjà, en dépit de cette caricature d'introduction cent fois revue, l'arrivée dans le cabinet se transforme immédiatement en immersion complète dans un univers plus dense et complexe qu'il n'y parait. Notre héros a droit à une visite intégrale des lieux, et on comprend et partage vite son malaise devant l'enthousiasme un peu trop débordant de la jeune femme qui lui présente les différentes salles d'examen ou de repos. Est-elle naïve, ou tout simplement illuminée ? Elle n'a pas l'air de se rendre compte qu'on n'est pas exactement dans un salon de beauté mais bien une clinique, et que ce qu'elle décrit n'est pas aussi mineur qu'il y parait. C'est en réalité là que Cleopatra na Onnatachi commence à asseoir son propos : oui, la clinique est un endroit coloré, lumineux et d'apparence innocente, avec des hôtesses et des infirmières mignonnes comme tout, mais la caméra s'attarde aussi très rapidement sur les actes de chirurgie sans nous en épargner les détails parfois un peu dérangeants, mais sans être gore. Tout est dans la mesure. Sous ses apparences charmantes se cache un endroit où on n'a pas complètement perdu le sens des réalités, bien au contraire, mais on a décidé de les voir avec un certain optimisme (j'y reviens dans un instant).
Face à notre chirurgien qui prend les choses très au sérieux, les apparences désinvoltes ("oh dites docteur, et si je me faisais refaire le nez, aussi, après les yeux ?") semblent dans un premier temps surréalistes, mais jamais longtemps. Les scènes d'examen ou d'intervention, souvent brèves, permettent de rappeler que l'équipe médicale ne traite rien par-dessus la jambe et ne considère aucun acte comme anodin, mais que le culte de la beauté et des apparences est effectivement présent.
C'était là le danger que représentait potentiellement le thème de Cleopatra na Onnatachi, en fait. A travers l'habituelle histoire du type qui va réaliser qu'en fait, son nouveau milieu n'est pas aussi mauvais qu'il le pense, il y avait le risque de traduire un état d'esprit déjà surreprésenté dans les médias (notamment nippons) sur l'importance d'une apparence irréprochable, en particulier pour les femmes. Le parcours de Minetarou serait-il donc une occasion de faire l'apologie de la beauté à tout prix ?
Eh bien pas tout-à-fait, mais ça se joue sur le fil du rasoir. Le point de vue de notre jeune docteur n'est pas balayé brusquemment d'un revers de la main comme s'il ne comprenait rien à rien ; il expose ses doutes et son incompréhension pendant une large part du pilote sans passer pour un imbécile ou un obtus, de sorte que l'équilibre entre les deux points de vue est bien préservé. Mails difficile d'ignorer que Cleopatra na Onnatachi fait quand même une bonne publicité à la chirurgie esthétique.
Le crédo de l'équipe médicale est en effet le suivant : on change l'apparence des gens pour leur donner la motivation nécessaire pour avancer dans la vie. Pas mal de bons sentiments bien nippons derrière cette façon de voir, doublée d'une certaine complaisance, reconnaissons-le, mais grâce au délicat équilibre instauré grâce à l'avis de Minetarou, les scènes de chirurgie ou d'examen pas trop idylliques, et l'atmosphère générale, on évite quand même le bourrage de crâne unilatéral avec élégance, et cela évite d'avoir l'impression d'assister à une pub pour la chirurgie esthétique.
D'ailleurs, l'une des deux intrigues médicales de ce premier épisode ne se résoudra pas du tout comme on le pensait. Une femme vient en effet supplier qu'on inverse les effets d'une procédure qu'elle a endurée de façon à se rajeunir pour plaire à son mari : ledit mari ne la reconnaît plus et ne veut pas de cette "nouvelle" épouse jeune. Sauf que la procédure ne peut pas être inversée ; on fait de la chirurgie, pas de la magie. Minetarou est envoyé en mission pour convaincre le mari en question de ne pas plaquer sa femme pour si peu... à sa propre surprise, il en vient même à ressortir le crédo sur les bienfaits de la chirurgie esthétique ! Tout ce qu'il parvient finalement à accomplir, c'est de pousser le mari à subir à son tour une procédurer pour paraitre plus jeune... et sceller la séparation du couple malgré tout.
La chirurgie esthétique n'a donc pas réponse à tout, et pas vocation à résoudre tous les problèmes. De ce côté-là, le parti pris de la série est net, et intéressant, car la plupart des dorama se feraient une joie d'ériger leur personnage comme assistant social ayant pour mission de faire le bien auprès de la clientèle. Ici, Minetarou ne se fait réprimander que pour une chose : avoir essayé de rabibocher le couple. Ce n'est pas son boulot.
Mais, et je ne m'y attendais pas du tout, là où Cleopatra na Onnatachi réussit le plus brillamment, c'est à nous surprendre avec les intrigues personnelles des employés de la clinique.
Ainsi, avec le ton le plus insouciant, badin et joyeux possible, l'une des infirmières va-t-elle afficher ses cicatrices de scarification devant Minetarou. Je suis obligée d'admettre que je ne l'avais pas vue venir, celle-là... C'était finalement assez représentatif de l'esprit du personnel médical : prendre les choses avec un optimisme énorme, sans pour autant faire preuve d'idéalisme aveugle. Une leçon sur les personnalités de ces soignants qui sera légèrement plus explicitée vers la fin de l'épisode.
Plus approfondie est l'histoire du docteur Ichii. Cette belle femme dans la quarantaine est, pour autant que ses collègues le sachent, un médecin accompli, une personne charmante, belle, évidemment, mais aussi une épouse et une mère remarquable. Elle a bien un étrange tic dans l'épaule droite, le soir quand elle quitte le boulot, mais à part ça, elle est un véritable modèle. Sauf que lorsqu'on finit par suivre Mutsumi Ichii chez elle, on s'aperçoit que c'est sa belle-mère qui éduque son fils, et qui, parce qu'elle maîtrise l'art de l'attaque passive-aggressive à un degré que je n'avais jusque là jamais admiré chez aucun personnage de télévision, a réussi à totalement faire passer Mutsumi pour une étrangère chez elle, s'arrogeant sa place dans le coeur de son mari comme de son fils. Mutsumi est totalement inutile chez elle, toute indispensable qu'elle soit au cabinet...
Notre héros Minetarou, enfin, n'est pas en reste. Il est même plein de surprises. D'abord, il y a la raison pour laquelle il a décidé de prendre ce boulot : son père lui a laissé ses dettes à éponger, et il faudra bien trois années de travail dans cette clinique haut de gamme pour les rembourser. Maussade de nature, Minetarou a donc des problèmes financiers et familiaux à régler.
Et si nous connaissons si bien les états d'âme, les doutes professionnels, et les angoisses pécunières de notre héros, c'est parce qu'il s'en ouvre régulièrement à Yu.
Qui est Yu ? Oh, juste l'homme avec qui il vit.
Au stade du pilote, difficile de dire avec certitude si Cleopatra na Onnatachi a décidé de traiter cette relation comme quelque chose de crypto-gay (mais est-ce que le crypto-gay existe au Japon, seulement ?) ou de carrément gay-mais-tellement-naturel-que-ça-vaut-pas-la-peine-d'en-discuter, à vrai dire. Mais les éléments sont nombreux pour nous montrer un Yu aimant, attentionné, tendre, qui soutient son partenaire dans une période difficile, plutôt que comme un meilleur ami. De son côté, Minetarou n'encourage, mais ne décourage pas non plus ces manifestations. On verra donc le couple discuter en rentrant du boulot, faire la vaisselle, se payer un dîner à l'extérieur, sans que rien ne vienne confirmer ni n'infirmer le statut exact de leur relation.
En tous cas, s'il s'avérait dans les épisodes suivants que Cleopatra na Onnatachi propose ici un couple gay au centre de son intrigue, en décidant d'en faire un acte tellement anodin qu'il n'a pas besoin d'être abordé explicitement, on aurait véritablement droit à une première dans un dorama nippon, pour autant que je sache. Jamais je n'ai vu ça avant (mais c'est vrai que ce n'est pas un sujet que j'ai spécifiquement étudié).
Cela reflète bien, quoi qu'il en soit, le talent de Cleopatra na Onnatachi pour aborder avec un talent rare ses sujets en maintenant toujours un parfait équilibre. Le pilote ne nous montre pas de piste menant à un fil rouge prononcé, une intrigue couvrant toute la saison, mais les sujets abordés avec tact par ce pilote sont suffisants pour aiguiser la curiosité à bien des égards pour la suite. Sans compter que cette série nippone, en prenant un contexte similaire, est radicalement différente de la série sud-coréenne Before and After Seonghyeongoekwa, ce qui permet d'éviter la moindre redite.
Un sens de la mesure qui est une denrée bien rare de nos jours... je viens donc d'ajouter cette série à mon planning du printemps.