Exposition Vos chefs d'oeuvre
Une collection privée temporaire : c'est ce que Samuel Le Paire a organisé chez lui, jusqu'au 30 mai (pour visiter, le contacter directement; coordonnées sur son site), en obtenant de collectionneurs qui sont ses clients que chacun lui prête pendant quelques semaines une des plus belles pièces de sa collection.
Jan Fabre, Chapitre II, 2010
L'exposition ainsi présentée est assez hétéroclite, allant d'Utrillo à Chiharu Shiota en passant par Giacometti, Dubuffet ou Hartung, mais pas plus hétéroclite que bien des collections privées, faites de strates et d'histoires. Cette méta-collection est présentée dans un appartement que, pour l'occasion, le scénographe et designer José Lévy a habillé de miroirs, démultipliant les vues sur les pièces présentées, et réalisant un accrochage dense et hétérodoxe. C'est ainsi que cet homme-licorne de Jan Fabre devient quadruple, comme une masse d'armes face aux quatre points cardinaux.
L'originalité vient aussi du catalogue où Samuel Le Paire a invité des auteurs qu'on n'attend pas à rédiger des textes, sensibles, d'humeur et non de critique, sur chacune des 35 oeuvres présentées ici : un pasteur sur la sculpture-arbre de Szajner, PPDA sur un
Exposition Vos chefs d'oeuvre
petit Balzac de Rodin, une cartomancienne sur un portrait de Hans Richter, une aide-ménagère écrivaine roumaine sur une toile d'Utrillo, un étudiant aux Arts déco sur le Souffle de Penone (qu'on voit sur la photo ci-contre), un poète sur des trames de Morellet, un pathologiste sur un meurtre de Monory, le skieur olympique Richard Gay sur un 'Continuel Mobile' de Julio Le Parc (strié de rouge et de blanc sur la photo du haut, sous le Fassianos doré), un avocat sur un miroir peint de Bertrand Lavier, un biologiste sur un Sam Francis, un élève de 6ème prénommé Matisse sur un Erro, et ce blogueur sur le briquet de Thomas Hirschhorn orné des portraits de Malevitch et de Warhol (visible aussi en haut). Ce second effet miroir, introduisant un regard autre sur les pièces transplantées ici, complète l'expérience.
Mon texte sur Thomas Hirschhorn, Musée précaire Albinet (Lighter), 2004 (130x48.5x65cm) :
" Brûler les musées précaires. Incendier les banlieues. Mettre le feu.
Apporter la culture à la banlieue, faire le geste, faire l’effort. Négocier avec les institutions pour des prêts, de la médiation, de la sécurité. Sortir l’art du musée, l’installer sous une tente, au pied des barres.
Et, en même temps, douter. Douter qu’on sache franchir l’écart, douter qu’on soit assez proche, assez sensible. Hésiter, se demander si on ne va pas être rejeté, refusé. Craindre de passer pour condescendant. Être conscient que, quels que soient les efforts qu’on fasse, quelle que soit la posture révoltée qu’on prenne, on restera un étranger à la banlieue, on n’a pas les codes, l’histoire, la rage nécessaires pour y être accepté.
Alors faire un objet prémonitoire, apotropaïque, un briquet justement pour que ça ne s’enflamme pas, un briquet orné des images des idoles pour qu’on l’admire mais ne le touche pas, Mondrian, Duchamp, Léger, des noms à révérer, pas à brûler.
Et six ans plus tard, à Toulouse, construire un théâtre précaire dans le parking d’un quartier chaud, et, le lendemain du vernissage, le voir partir en fumée, les jeunes du quartier n’ayant pas accepté la venue de l’artiste, ne voulant pas de cet art qu’on leur apporte; le bon peuple est parfois bien ingrat. Ou peut-être les images magiques des idoles n’ont pas fonctionné cette fois-ci. "
Photos 1 & 3 courtoisie Samuel Le Paire. Photo 2 de l'auteur.