C'était un merdique samedi matin.
Très gris.
Je m'en rapelle comme si c'était hier.
J'étais chez mon voisin d'en face, Pat, son père dépensait sa paie tous les mardis dans les nouveautés musicales. Il s'achetait TOUS les 33 tours qui avaient de l'allure. Il avait une pièce complète de disques vyniles rangées dans de larges bibliothèque et rigoureusement placés en ordre alphabétique. Le père de Pat m'a à la fois appris à ranger mes choses avec méthode mais il m'a aussi fait mon éducation musicale au grand complet. Chaque samedi je passais chez Pat et j'empruntais à son père une bonne douzaine de disques que j'écoutais, enregistrais sur cassette si j'aimais, puis retournais le soir même. Le dimanche je répétais le même manège. Son père était heureux de voir qu'il était mon pygmalion musical et moi je nageais en pleine curiosités musicales, une curiosité qui n'a jamais ralentie.
Ce samedi matin-là il y avait ces images qui ne cessaient de passer en boucle à la télévision. C'était une merdique journée pluvieuse au Québec, et Pat et son père étaient tous deux rivés à leur écran de télé près de la galerie qui donnait sur la rue Belvédère. Il n'y avait pas de chaîne de nouvelles en continu à cette époque et si nous n'étions pas dans le bloc de nouvelles du matin, du midi ou du soir, nous n'avions accès aux nouvelles aux heures qu'en écoutant la radio.
La radio était effectivement ouverte aussi ce samedi matin-là. Qu'est-ce qui était si important pour que les deux soient rivés debout devant leur écran avec la radio ouverte très fort dans une autre pièce derrière? Pat allait aussitôt me le dire:
"JONES! Gilles Villeneuve est à l'hôpital!"
"Meuh..."
"Je te jure r'garde à ' télé y est en petite boule pis y roule, yé entre la vie pis la mort!"
En voyant et revoyant la scène plusieurs fois, on remarquerait que le corps de Villeneuve allait plutôt passer complètement au-dessus de la piste pour aller s'effrondrer dans le grillage.
On a dû regarder ce qui allait le précipiter dans la mort des tonnes de fois. En fait je ne sais pas comment on aurait fait pour voir son accident des tonnes de fois, on avait pas l'internet, pas de chaines de nouvelles en continu, Pas de video non plus, mais les images étaient si fortes, elles avaient tellement d'impact sur nos petites personnes de 10 (moi) et 12 ans (Pat) qu'elles nous étaient carrément rentrés dans la rétine et on en avait enregistré chaque image/seconde. C'était imprégné dans nos imaginations pour toujours. Encore aujourd'hui, quand je regarde ces images je revis ces émotions de ce gris samedi matin de 1982. Avec ce champion de chez nous qui faisait un dernier vol plané jusque dans la clôture du circuit de Zolder en Belgique.
Champion du Québec de Formule Ford avec sept victoires en dix courses en 1973, champion du monde en course de motoneige en 1974, il fait bien en formule Atlantic en 1975 et 1976. Cette année-là il est vainqueur de neuf courses sur dix, remportant les championnats américains et canadiens de Formule Atlantic. Il impressionne tant un pilote de Formule 1 invité* au grand prix de Trois-Rivières par son agressivité au volant que celui-ci le recommande aussitôt à son équipe (MacLaren) de retour chez lui.
C'est MacLaren qui lui donne sa première chance en Formule 1 dès 1976. Dès l'année suivante, son sens de l'attaque n'échappe pas à Enzo Ferrari qui, séduit, lui propose un test à Fiorano. Le test s'avère suffisamment concluant pour que la Scuderia Ferrari l'engage pour les deux dernières courses de la saison sur la troisième voiture de l'équipe qui sera finalement la deuxième quand Niki Lauda se fâche avec l'équipe et quitte.
Son style agressif a un prix et lors d'une course, il accroche la voiture de Ronnie Peterson, part en vol plané et tue un officiel et un photographe quand sa voiture plonge dans la foule au Grand Prix du Japon.
En 1978, il éprouve toutes les peines du monde à confirmer les espoirs placés en lui. Toutefois en 1979, le pilote sud-africain Jody Scheckter et lui font gagner le championnat des constructeurs à l'écurie Ferrari qui les engage (le premier gagne aussi le championnat des pilotes). C'est une année extraordinairement excitante pour Villeneuve (Villeneuve en rouge) où il se fait beaucoup remarquer. En 1980, si Villeneuve n'est pas le meilleur, il est de loin le conducteur le plus spectaculaire. Il a toutefois une saison pénible. Il dompte la puissance d'un nouveau moteur Ferarri en 1981 et remporte entre autre le grand prix de Montréal sous la pluie et avec style à nouveau avec son aileron déconcalissé depuis le tout début de la course.
Son style de cheval fou plait mais il lui coûtera la vie. Lors des qualifications pour la course en Belgique sur le circuit de Zolderle 8 mai 1982, Villeneuve accroche la voiture de Jöchen Maas et se tue, probablement dès le chox intitial, les vertèbres cervicales brisées.
En soirée le Québec pleurait sa mort. Enzo Ferrari perd pratiquement aussi un fils ce jour-là.
Ça se passait aujourd'hui, il y a 30 ans.
*Le britannique et champion du monde James Hunt.