Arrivé très en avance à l’audition d’orgue et de chant dimanche 6 mai à Châtillon, j’ai déjeuné d’une chiffonnade de jambon cru et d’un verre de Valpolicella près de l’église Saint André, flâné sur les rives de la Chalaronne en grignotant du chocolat, fumé un Partagas Mille Fleurs et écouté des œuvres de Charpentier, Monteverdi, Dandrieu et Bach.
Au retour, dans le soir ensoleillé sur les petites routes de Bresse, j’ai été surpris de constater que parmi tous les arbres ayant revêtu leur feuillage, les frênes sont aussi en retard que dans ma campagne du haut-Jura où ils commencent à peine à déployer quelques prudentes folioles. Bien que les frênes attendent parfois juin pour s’habiller, je trouve étrange que ceux de la Bresse présentent le même dépouillement que leurs semblables jurassiens alors qu’on peut observer plusieurs semaines de décalage entre « les printemps » de ces deux régions.
En allumant la télévision dès mon retour à la maison, j’ai vu apparaître le portrait du nouveau Président de la République. Je n’attends rien de plus de cet épisode que de celui du 10 mai 1981, date à laquelle je m’étais égaré dans la foule parisienne en liesse alors que je tentais de rentrer dans ma province après une semaine de stage au salon du livre ou de la papeterie, je ne sais plus. Je me souviens juste de nos équipées sauvages dans les allées de ces deux salons, avec certains camarades de promotion de l’Institut de Promotion Commerciale, d’où nous avions fini par nous faire signaler en tant que personæ non gratæ, malgré nos revers fièrement badgés, en raison de notre énergie à collecter des sacs remplis à ras bord « d’échantillons » pour un usage qu’on devinait plus personnel que professionnel.
Avec mon plateau télé, pour échapper à la logorrhée des journalistes, des notables et des piégés au micro-trottoir, je me suis régalé d’Hibernatus, film opportunément choisi par la troisième chaîne pour illustrer le proche destin de l’ancien Président et de toute sa bande.
La politique étant presque hors-sujet dans ces carnets, je n’ai qu’une image fugace à retenir de ce soir d’élection télévisé, celle d’une très jeune femme n’ayant connu que la droite au pouvoir et qui exprime son espoir, ce qui est bien normal, après la victoire de François Hollande. Elle me rappelle une étudiante née en 1981 qui, voici quelques années, m’avait confié son vote par procuration et qui m’avait déclaré tout net éprouver de l’espoir après n’avoir rien connu d’autre que le règne de Mitterrand. Lors de ce scrutin, j’avais fait cette curieuse expérience d'arriver au bureau de vote avec un bulletin pour la gauche (le mien) et un bulletin pour la droite.
Comme beaucoup de monde, je place quant à moi depuis longtemps mes espoirs ailleurs qu’en politique même si je me réjouis de constater que la droite et sa vision désespérante de la vie consistant à ne voir en chaque individu que le concurrent de l’autre (comme dans le sport) peut encore chuter lorsqu’elle tire trop sur la corde. Comment cette droite-là peut-elle en effet demander sans cesse à la classe moyenne qui rétrécit, aux populations qui se précarisent et aux jeunes de plus en plus fauchés de se serrer la ceinture, de consentir à toujours plus « d’efforts » et de « sacrifices » alors que le marché du grand luxe ne connaît pas la crise et qu’il ne s’est jamais vendu autant de yachts ? N’est-ce pas cette simple question qui, à l’avenir, plus que tout le verbiage des analystes politiques, peut nous permettre, espérons-le, de distinguer encore notre gauche de notre droite ?