Abu Khalil Qabbani (1835-1902), pionnier du théâtre au temps de la Renaissance arabe, chassé de Damas par un décret ottoman, après une pièce dans laquelle il se moquait du caliphe Haroun Al-Rachid
Sur la grande scène internationale, les événements de Syrie sont un théâtre d’ombres où des silhouettes se détachent sur l’écran des batailles tandis que d’autres acteurs se livrent, en coulisses, une guerre sans pitié. Et sur la scène du théâtre syrien, les événements de Syrie sont un drame où la profession tient son rôle, du mieux qu’elle le peut. Depuis mars 2011, le pays traverse une crise dont l’issue, sauf coup de théâtre, sera forcément encore très longue : des célébrités de la scène soutiennent le régime (voir précédent billet) ; d’autres – tel l’acteur célèbre Abdul Monem Amayri (عبد المنعم عمايري , article en arabe) – se taisent et se jettent à corps perdu dans le travail ; d’autres enfin (voir cet article dans le Guardian), ont rendu publique leur révolte, au risque de la prison parfois (article en arabe), et du chômage forcé souvent. Certains enfin, tels les deux frères Malas, ont été contraints de choisir l’exil.
Présents depuis toujours dans le théâtre syrien, les drames shakespeariens, avec toute leur folie meurtrière, ont plus que jamais la faveur des metteurs en scène locaux. Il y a quelques semaines à peine, ‘Orwa al-’Arabi (عروة العربي), formé à l’Institut d’art dramatique de Damas, a ainsi présenté une énième version de Hamlet, devenu un classique de l’imaginaire arabe contemporain, comme le rappelle Hussein Omar. Dans le même esprit, et sur le même placement politique du type « soutien critique au régime », la capitale syrienne avait également vu en février la création de Un trône de sang (عرش الدم), une création de Ghassan Massoud (غسان مسعود) qui reprend un titre de Kurosawa pour associer deux œuvres, Macbeth et Richard III.
Dans la série des classiques remis au goût du jour, Hussein Idlibi (حسين الإدليبي), figure « classique » du théâtre national non moins classique, a transposé dans le contexte actuel une pièce déjà ancienne de l’auteur égyptien Alfred Farag. Inspirée des Mille et Une Nuits, La Princesse et le vagabond (الأميرة والصعلوك), histoire d’une princesse bien décidée à épouser le plus moche de tous les hommes disponibles pour se venger de son prince infidèle, a été adaptée pour montrer comme les « marchands du Golfe » sont prêts à tout, y compris à « vendre le sang du peuple syrien ».
Récit d’un pays sans mort (حكاية بلاد ما فيها موت), le dernier spectacle du jeune dramaturge Kifah al-Khaws (كفاح الخوص) également formé à l’Institut d’art dramatique, s’inspire à son tour du patrimoine local mais pour retrouver la tradition des hakawati (les conteurs de café) et pour offrir une réflexion plus complexe sur les événements actuels en imaginant une fable, puisant également dans l’épopée de Gilgamesh, où le héros finit par découvrir comment la mort peut être le chemin de l’éternité…
Etonnante scène théâtrale damascène, où l’angoisse des jours présents paraît stimuler l’énergie créatrice de certains. Après avoir eu l’occasion de travailler ensemble au printemps dernier, de jeunes passionnés de théâtre, en grande partie formés au « Laboratoire théâtral de Damas » d’Ousama Ghanem (أسامة غنم), ont prolongé l’expérience pour une création à partir de deux « dramaticules » (article en arabe) de Samuel Beckett, souvent présenté comme un des maîtres de l’absurde, ce qui n’est pas forcément étranger au climat actuel dans le pays. Un travail aux frontières du genre, sans « texte » et sans « direction », au sens traditionnel du terme, laquelle est remplacée par une mise en scène collective : une vraie révolution…