Henri Turcat, pourtant avare en compliments, l’a qualifié «d’étoile de la profession», ingénieur navigant d’essais qui a profondément marqué son époque, depuis le Vautour jusqu’à Concorde, programme dans lequel il y joué un rôle essentiel pour finalement en devenir directeur. Il était tout simplement la compétence faite homme, connaissant «ses» avions dans les moindres détails, au point de servir de référence incontestable aux yeux des équipes dont il avait fait partie ou qu’il avait dirigées.
Né à Paris le 26 juin 1929, sorti de Sup’Aéro en 1953, de l’EPNER deux ans plus tard, il avait rejoint la SNCASO en 1956. Il y fit une belle et grande carrière, dans le cadre de la société du Sud-Ouest puis sous les appellations Sud-Aviation et Aerospatiale. Près d’un demi-siècle d’aviation française et franco-britannique, occupant successivement les fonctions d’ingénieur navigant d’essais de la société puis de directeur de l’avion supersonique de 1976 à 1989.
Henri Perrier a travaillé avec les plus grands, de Lucien Servanty, Pierre Satre, Jean-Charles Parot et Etienne Fage en passant par Gilbert Cormery , Jean Rech et beaucoup d’autres. Commentaire d’André Turcat : «il était le modèle reconnu pour la rigueur et l’étonnante mémoire qui permettaient le jugement le plus éclairé sur les avions, mais aussi sur les hommes, en toute fraternité». Un jour, nous avions regretté qu’il ne prenne pas la plume pour raconter ses souvenirs, ses campagnes, pour partager sa grande expérience et laisser un témoignage à la postérité. Il avait aussitôt écarté l’idée, parce qu’il préférait rester en retrait et éviter le risque de porter un jugement, même involontairement, sur ses collègues.
L’accident tragique survenu à un Concorde d’Air France en juillet 2000 avait meurtri Henri Perrier. Mais, de son point de vue personnel, le pire était à venir, sa mise en examen, en sa qualité d’ancien directeur du programme, lors du procès qui s’était déroulé il y a deux ans. Il était aussitôt apparu comme la référence incontournable sur les caractéristiques de l’avion supersonique au point, par moments, de faire oublier les raisons pour lesquelles il se retrouvait à la barre du tribunal de grande instance de Pontoise : trente-cinq interventions en 4 mois.
C’était là une épreuve. Laquelle se serait répétée, ces semaines-ci, à l’occasion du procès en appel décidé au lendemain du verdict prononcé le 6 décembre 2010, procès actuellement en cours à Versailles. Lors de la première audience, le 8 mars dernier, les juges avaient constaté l’absence d’Henri Perrier, retenu par une implacable maladie. Les avocats du groupe EADS (en sa qualité d’héritier d’Aerospatiale) avaient demandé, mais en vain, le report du procès : «la voix de M. Perrier est indispensable », avait dit l’un d’eux, aussitôt conforté par ses collègues, y compris ceux de la partie adverse.
«Il manque une personne extrêmement importante dans ce procès, le dernier survivant de l’épopée Concorde», avait souligné un autre avocat, «nous ne pouvons pas sous substituer à lui en quoi que ce soit» avait renchéri l’un de ses collègues. Me Fernand Garnault, avocat d’Air France, avait alors ajouté que le procès en appel «obligeait» à la présence d’Henri Perrier, proprement indispensable. Ce jour-là, Me Olivier Metzer, pourtant avocat de Continental Airlines, avait exprimé haut et clair son profond respect pour Henri Perrier, le qualifiant de «pape du Concorde». Un hommage inhabituel, remarquable.
Après une longue délibération, la Cour n’en avait pas moins rejeté le report du procès et avait décidé d’entendre Henri Perrier en un deuxième temps, en janvier 2013. Il n’en sera malheureusement rien. Restera l’image d’un grand serviteur de l’aéronautique, aux compétences exceptionnelles, capable de mener à bon port les tâches les plus difficiles. Il demeurera un bel exemple.
Pierre Sparaco - AeroMorning