Un Âne, dit-on, rencontra
Un Lion altier, qu’il salua :
« Bonjour, frère, eh, bonjour, l’ami ! »
Surpris de le voir si hardi,
Le Lion lui répond sur-le-champ :
« Depuis quand sommes-nous parents ? »
L’Âne lui dit : « La chose est nette,
Tu méprises les autres bêtes.
Tu crois, et, là, tu fais erreur,
Que toutes te sont inférieures.
Viens donc avec moi sur ce mont
Où nous tenons nos réunions
Et je saurai te faire voir
- Tu pourras t’en apercevoir -
Que l’on a aussi peur de moi
Que l’on peut avoir peur de toi. »
Le Lion partit donc avec lui.
Voici la montagne gravie.
Au pied du mont, dans la vallée,
Tous tenaient leur grande assemblée.
L’Âne se mit d’un coup à braire
De si effroyable manière
Que les animaux déguerpirent :
Epouvantés, tous, ils s’enfuirent…
L’Âne dit : « Vois-tu, mon ami,
L’effet que je t’avais promis ? »
Le Lion répondit : « A mon sens,
Ce n’est pas devant ta puissance
Ou ton courage qu’ils ont fui
Mais simplement devant ton cri,
Lequel était si effroyable
Que chacun t’a pris pour le diable. »
Ainsi de l’orgueilleux félon
Qui par ses cris et ses jurons
Epouvante les imbéciles,
Assuré (du moins le croit-il)
Que, dès qu’on l’entendra brailler,
Chacun se taira, effrayé.
Marie de France (XII siècle).
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