L’explosion du chiffre d’affaires des Cola régionaux
C’est en effet le géant américain Coca Cola qui jusqu’à présent imposait son produit au reste du monde : goûts, parfums, aromes, packagings, slogans…. Et le reste du monde s’y identifiait, l’appelait de ses vœux et se l’assimilait tel quel, comme faisant partie de ses gouts sociétaux, de ses besoins. Faire du « glocal » avec conservation de la charte graphique et traductions ad-hoc de la marque pour pénétrer de gros marchés, Coca Cola le fait déjà. La canette s’est déclinée dans de nombreux pays. Mais Coca Cola le monstre sacré, le symbole porteur des valeurs fondamentales de rien moins que de la grande Amérique et qui imposait jusque là ses propres référents en conditionnant les consommateurs en amont, se met à apposer triskèles et drapeaux bretons sur ses supports commerciaux pour reconquérir les parts de marché perdues en Bretagne. Comment un phénomène commercial si décalé est-il possible ?
Pour Coca Cola, le véritable enjeu n’est pas la conquête des parts de marché bretonnes, mais de résister à un nouveau mode de consommation qui jusqu’à présent partait du géant américain pour s’imposer aux consommateurs consentants et satisfaits. Il s’agit à présent pour Coca Cola de comprendre un réflexe identitaire local qui oblige à penser autrement. Et si c’était déjà le cas avec les Corsica Cola ou les Elsass Cola qui ont emboité le pas à notre Breizh Cola exemplaire et qui voient eux aussi leur chiffre d’affaires exploser au détriment des parts de marché de coca cola ?
Et il faudrait que ce soit le géant qui à présent s’adapte aux consommateurs pour proposer un produit qui leur ressemble, qui ressemble à une culture identitaire à la marge ? Faire de l’individuel local au lieu de faire du collectif massif américain ? Pour Coca Cola, poids lourd incontesté doté de gros moyens marketings pour influencer ses consommateurs, c’est une nouvelle façon de pensée et ce n’est visiblement pas si simple.
Stéphane Lehoux ancien responsable de la zone Coca Cola France a d’ailleurs dû batailler avec la direction mère pour la convaincre et obtenir cette nouvelle ligne stratégique localement adaptée : « très bien ! Faites le mais vous n’aurez pas de budget supplémentaire » lui a t-on expliqué. Plus proche d’une initiative isolée que d’une véritable stratégie, la firme a accepté cette adaptation bretonne, fait rarissime dans l’histoire marketing de Coca Cola.
Le géant ne voit pas pourquoi il plierait : c’est Coca Cola qui impose son propre modèle identitaire, qui définit quel consommateur va vouloir quoi et ce qu’il va acheter. S’adapter à la culture du consommateur et non plus uniquement créer les conditions pour que le consommateur s’adapte de lui-même au produit américain est une révolution complexe pour un groupe qui au fond n’a pas le sentiment d’avoir à adapter sa production de masse, sa pensée de masse à quelques irréductibles gaulois ! Et le résultat est là : Les Corsica cola (Corse), Anjou Cola (Anjou) Elsass Cola (Alsace), Fada Cola (Marseille) Auvergnat Cola et Bougnat Cola (Auvergne)…. Explosent au nez et à la barbe d’un géant qui devrait peut-être repenser sa stratégie. Le véritable enjeu de ces chocs marketings apparents, ce ne sont pas les 14 % de parts de marché du petit village breton. Le véritable enjeu c’est de voir se développer un exemple local français sur fond de succès story, véritable révélateur d’une demande locale, nationale et même internationale.
Une demande de proximité culturelle
Une demande d’un genre nouveau et qui crie haut et fort « je suis un consommateur libre, je veux un produit qui ressemble à ma culture, à mon identité ! » Plus globalement, les colas alternatifs nationaux commencent à être légion, et de nouveaux poids lourds qui eux ont su s’adapter à la demande populaire émergent : China Cola, troisième producteur de boissons non alcoolisées en Chine (derrière Coca-Cola et Pepsi-Cola) ! Cuba et son TuKola et autre Tropi-Cola, Mecca Cola implanté massivement dans tout le moyen orient… Coca Cola entendra-t-il la demande de proximité des consommateurs ? Et comment entendre cette demande quand on appartient, quand on est vecteur, symbole et même force de frappe de valeurs américaines, d’un « empire » Américain qui sait culturellement comment et qui a les moyens d’imposer une présence commerciale offensive, d’imposer ses propres valeurs et son propre modèle de société de consommation et par tous les pores de la peau, de Hollywood aux dessins animés made in Walt Disney, des Mc Do jusqu’au langage même qui à l’international est comme le dollar, une référence bien assise.
Et pourquoi plier, s’adapter, suivre le petit, le local, quand on peut faire donner l’artillerie lourde du marketing, quand s’adapter une fois c’est changer radicalement de façon de penser, de structurer, de voir le monde ? S’adapter au local, au régional, c’est s’adapter au culturel, c’est ne plus s’imposer au monde c’est ne plus véhiculer ses propres valeurs nationales mais tenter d’épouser celle de l’autre. Peut-être pas si simple pour une firme dont les enjeux sont eux aussi identitaires : véhiculer son propre modèle de consommation, ses propres valeurs car il s’agit enfin pour paraphraser le sloggan de Coca Cola sorti en 1985 de l’ « America's Real Choice », du « Vrai choix de l'Amérique ».
Nadia Parmentier