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Etat chronique de poésie 1534

Par Xavierlaine081

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1534

Tu te laisserais volontiers aller, mais pourtant tu tiens encore à ne pas sombrer.

Tu regardes avec effarement les mauvaises nouvelles du monde qui s’accumulent, rien ne sors de très bon de ces bruits de bombe, de ces peuples à genoux criant contre leur infortune.

Tu sais comme ils savaient que rien ne vient jamais sans rien.

Tu sais combien nous sommes responsables de ces liens non tissés qui nous font chavirer au moindre coup de tempête.

Mais parfois tu aimerais pouvoir te laisser aller.

*

Alors te viens cette douce sensation : si longues heures passées en enfance, dos posé sur l’eau turquoise de quelques plages de sable fin, les yeux fermés pour mieux apprécier le délice d’être là.

Plus tard te reviennent tes explorations solitaires, masque devant les yeux et tuba dans la bouche, palmes aux pieds. La beauté offerte de ces fonds marins qui existaient encore. L’infini plaisir d’être porté, de respirer, de ne rien penser ni voir d’autre que cette variété de couleurs.

*

Tu regardes par la fenêtre vers ce ciel qui tarde à être bleu.

C’est le gris qui domine, la poussière qui envahit tout, jusqu’à ta mémoire inachevée.

Tu aimerais qu’il en soit toujours comme dans tes souvenirs.

Tu aimerais offrir aux générations qui viennent la chance qui fut la tienne.

Tu aimerais…

*

Mais toujours tu reviens sur tes pas.

Et, sur le bord du chemin, les mains se tendent en d’infinies suppliques.

Ton enfant serre sa petite main dans la tienne à chaque misère rencontrée.

Tu ne peux t’empêcher de pleurer.

Non que la misère fut moins grande dans ta mémoire, mais elle avait peut-être plus de panache : il lui restait encore un peu de dignité.

Tu fermes les yeux.

Tu te revois : c’était dans les années soixante et tu allais, avec les prêtres ouvriers si mal vu de leurs bourgeois paroissiens, porter quelque aide dans ce qui étaient des bidonvilles, juste à l’aplomb des fumées de l’usine du père.

La misère oui. La misère, mais, malgré les rats et les immondices, une forme de dignité qui donnait encore du cœur au ventre.

Nous donnions de la nourriture, des vêtements… Et des livres !

*

Mais peut-être tu te trompes.

Peut-être, ce que tes yeux d’adolescents ont vu n’était-il que panache, brume, léger pinceau sur une réalité bien plus glauque. Peut-être…

On habille si souvent la mémoire de parures bien plus belles que ce qu’elles furent !

*

De la misère il y en a, dans ta mémoire. Tu te rappelles cette révolte patente chez tous ceux visités.

Que reste-t-il lorsque l’esprit de révolte a disparu mais que la misère demeure ?

Des enfants perdus dans un océan de bonnes œuvres.

*

Tu ne sais plus.

Tu voudrais t’enfoncer au moelleux d’un rivage.

Tu voudrais te blottir entre les bras de tes amours d’autrefois, nues à minuit dans le clapotis discret d’une crique solitaire.

Tu voudrais goûter et offrir encore un peu de ce miel d’avoir vécu, juste pour mettre de la distance, avec cette dureté d’un temps de cynisme et de mépris.

*

Alors tu rentres chez toi, le cœur meurtri, à chaque passage dans cette vie qui se délite.

On s’agite ici et là pour toutes les causes les plus humanitaires qui soient.

Dans cette agitation, on oublie l’essentiel : qu’est-ce que je fais pour que ce système arrête de nous briser ?

Qu’est-ce que je fais ? Comment je vis ?

A force de donner pour compenser ce que la communauté ne fait plus, je m’épuise.

Epuisé, je ne sais plus regarder ni entendre. Je n’entends que mon propre cœur pincé devant l’avalanche des tragédies.

A force de m’épuiser, je ne conteste plus rien de ce qui fait ce monde immonde, et je soutiens malgré moi les corrompus qui nous réduisent la vie en miettes.

Et comme d’autre j’attends tout d’élections qui n’apporteront rien si je ne mets rien de mes efforts et de ma pensée dans la corbeille de naissance du monde à venir.

*

On m’invite à me disperser et je me disperse.

On me prend par le bout du cœur et j’avance.

Je ne suis qu’un somnambule de plus

Dans les couloirs bien balisés par des mains condescendantes

Je ne suis plus que fantôme parmi les autres

Je suis perdu par ceux qui veulent me perdre

Les ogres m’attendent au bout de ce chemin

A moins

A moins que d’un sursaut de générosité

Je commence à considérer qu’il vaudrait mieux

Extirper le mal à sa racine

Sous les pavés, nos rêves feront alors plage

Nos mains bâtiront certes

Mais le bâtiment ne sera pas château de sable

S’il nous est maison commune

Pour nos communes attentes

Manosque, 28 février 2012

© Xavier Lainé, mars 2012

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