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François, mon petit pote, je t’adresse toutes mes félicitations les plus sincères. Chouette, un président de gauche dans notre vieux pays de droite! Autant l’avouer, même si je vois parfaitement la différence entre ton programme et celui de feu l’UMP, ce n’est pas l’enthousiasme qui m’étouffe quand je pense aux galères qui vont bientôt te (et par procuration nous) tomber sur le citron. Mais pas de ça aujourd’hui, c’est la fête, on fait des bisous et des accolades au premier venu, tu me mets un bonnet phrygien et un verre de rosé et je relègue temporairement mon indifférence bienveillante à l’encontre de mes contemporains au rayon des vieux dossiers, de même que mon aversion pour le contact physique hors des circonstances appropriées.
Quand Mitterrand a été élu pour la première fois, j’avais six mois et ma mère n’avait pas eu le temps de m’inscrire sur les listes électorales en sortant de la clinique, et de toute façon personne n’avait de proposition sur la blédine et le lait maternel. Et pour être complètement honnête, pendant une quinzaine d’années, pour moi Mitterrand c’était d’abord une marionnette ressemblant vaguement à une grenouille, puis quand j’ai appris à lire j’ai découvert une vieille fouine experte en lettres classiques et en petites phrases assassines avec un passé un peu louche, et enfin c’est devenu une minute de silence au collège avec un chien nommé d’après une mer froide du Nord de l’Europe.
Autant dire que l’espoir en la gauche , j’en ai beaucoup entendu parler à travers quelques lectures, dans les chansons de Renaud, dans les chroniques de Cavanna, on m’en a inculqué quelques bases à l’école (même si on essaie toujours de faire croire qu’à la révolte succède nécessairement la Terreur), mais jamais il ne m’était venu d’associer la promesse d’un monde (ou à tout le moins d’un pays) meilleur à un bonhomme en costume trois-pièces qui cause croissance et grands principes.
Mais même si j’use et j’abuse de l’ironie pour me prémunir de la méchanceté, je ne suis pas du genre à donner du crédit à son jumeau grimaçant le cynisme. Aussi ai-je envie de te laisser une chance, et d’assumer le risque d’être déçu. Il ne faudra pas compter sur moi aujourd’hui pour faire le rabat-joie. Je viens de t’écouter faire ton premier discours de Président, et ça change tellement de la logorrhée haineuse qu’on s’est fadé pendant cinq ans que je n’ai même pas eu envie de faire bouffer son accordéon au conseiller régional qui s’est ramené alors que je déteste cet instrument presque autant que les choux de Bruxelles. C’est un bon début, d’ailleurs la pluie a observé une pause autour de vingt heures, même Sarkozy a fait un discours digne.
Et puis ça fait deux fois qu’un président corrézien nous sauve du fascisme. D’ailleurs, il va me manquer, Sarkozy. Je suis bien content qu’il aille remuer l’épaule ailleurs, mais comme tous ceux qui essaient avec plus ou moins de succès d’être drôle aux dépens des emmerdeurs liberticides je viens de perdre une précieuse source d’inspiration pour la chronique immondaine. Dans un sens, toi et moi, cher François, apprendrons ensemble à ne plus être dans l’opposition.
Tant qu’on est dans les congratulations d’usage, fais une bise de ma part à Martine Aubry. Personne ne le souligne, mais elle a abattu un travail de titan avant les primaires, puis pendant la campagne électorale pour garder le Parti Socialiste en une seule pièce. Tu aurais demandé à Hercule, il aurait préféré faire douze travaux de plus plutôt que de traîner les égos des camarades.
Et ne soyons pas revanchards à l’encontre de ceux qui dans l’autre camp, commencent à faire leurs valises pour le Luxembourg ou les îles Caïman, et de ceux qui dans ton propre camp vont se montrer plus amicaux que jamais à ton endroit. Il y a du pain sur la planche, mais si le PS gagne les législatives (comme toutes les élections locales depuis longtemps), la gauche sera dans une situation inédite où elle disposera de la majorité dans toutess les institutions. Donc pas d’excuses.
Alors, très cher François, je te souhaite bonne chance, comme tout le monde, et je bois un coup à ta santé. Tu es le bienvenu dans cette chronique quand tu veux. Et de grâce, retrouve ton humour! Je re-bois un coup à ta santé.
Et camarades lecteurs, à qui je peux parler plus directement depuis le temps qu’on se connaît, un toast spécial en l’honneur du départ du petit! La libération c’est maintenant!