Un dimanche d’élection
par Lilyane Ducher-Grandjean
6 mai 2012. Un dimanche presque comme tous les autres dimanches, pénard à traîner au lit à jouer avec ma Game boy, pendant que dans leur chambre, mes parents se font des gouzi-gouzi ! Sauf que là, ce sont les élections. Malédiction ! Faut se lever plus tôt que d’habitude pour aller voter et prendre ensuite la route pour arriver à l’heure au déjeuner, chez la belle-mère qui elle ne vote pas ; mais a fait son choix des petits et grands plats pour nourrir toute la smala. Elections et anniversaire, l’ambiance n’est pas à la fête. En tout cas, pas à la mienne.
On parle plus d’eux que de moi qui vais fêter mes 10 ans. 10 ans, c’est quand même un événement ! Depuis des semaines, j’entends que des mots absurdes à la télé. J’ai même pas le droit de regarder mes dessins animés. Mes parents sont en permanence branchés sur les actualités, à écouter les mêmes promesses. Moi, j’attends de monter sur ma nouvelle moto cross. Ça, c’est plus qu’une promesse. C’est le cadeau que toute la famille va m’offrir. Ils ont tous participé dans le bon sens. Alors, gauche ou droite, quelle importance ! Y’a que le grand-père, qu’a rouspété, en braillant que de son temps, les enfants n’exigeaient pas qu’on leur achète des cadeaux si chers. « Mais Papy, lui ai-je dit, c’est mon anniversaire ! ». « Et alors ? » m’a-t-il répondu : « C’est la crise ! On s’y est mis à plusieurs pour ton cadeau ! ». Mamy s’en est mêlée et a fait dégénérer la situation. Même qu’au bureau de vote de ce matin, c’était plus calme qu’à la maison ! « Laisse donc ce gamin tranquille, lui a-t-elle dit. Il n’y peut rien ». Papy a commencé à faire la morale à Mamy, ajoutant qu’elle aussi en voulait toujours plus. « T’es bien comme Sarkozy, toi, hein ? ». Mamy a froncé les sourcils et l’a défié de ses gros yeux noirs. « Répète z’y voir ! ». Papy ne s’est pas démonté, et prenant une nouvelle gorgée de piquette, lui a rappelé ses « idées à la con », genre « achetez plus, cuisinez plus ! ». « T’achète chinois et tu te vantes d’être une parfaite ménagère ! ». Mamy lui a dit d’arrêter de boire. Papy a continué de vider la bouteille devant toute la tablée. Mon père et ma mère ne disaient rien. Les autres membres de la famille baissaient la tête. Y’a que ma cousine, du haut de ses vingt ans, qui a osé parler : « Vous me faites honte, tous ! Qu’est-ce que vous feriez si vous étiez élus à la tête d’un pays qui va mal ? ». Et sans que je m’y attende, elle s’en est pris à moi : « Et toi, espèce de sale gosse gâté, t’as pas envie d’un cadeau moins dangereux ». Elle a reçu une rouste bien placée, sur la joue droite qui a claqué comme un pétard ! Son père l’a corrigée. « Ne t’en prends pas à ton cousin, sans savoir ce que tu dis, idiote ! » Alors, elle s’est mise à cracher tout ce qu’elle avait de rancœur sur le compte de chacun : « Et toi, papa ? Tu crois que tu es plus capable que les autres ? Tu n’as pas le courage de tes opinions ! Même pas fichu de savoir pour qui tu as voté ! Je suis sûre que ton bulletin était nul ! Pour un militant gauchiste, ça la fout mal ! Et toi, maman ? Tu n’es pas obligée de suivre papa ! ».
La cire des bougies de mon gâteau d’anniversaire avait fondu. J’en avais les larmes aux yeux. Personne n’avait pensé à me dire de les souffler ! Ils s’engueulaient tous. Je demeurais assis, en bout de table, à regarder, désespéré, la fumée des bougies s’évaporer. Dans ma petite tête d’enfant, je pensais que les jeux étaient faits et que le prochain président allait lui aussi, oublier mes bougies sur le gâteau d’anniversaire…Un président qui ne se préoccupe pas des autres, de leur vie, de leurs difficultés n’a pas sa place à la tête d’un pays. Voilà, ce que je pense, moi, Benjamin Touboul, en ce jour, de mes dix ans. Après tout, un an c’est vite passé. Alors, cinq… Dans huit ans, j’aurai 18 ans et j’irai, c’est sûr, voter. Je m’arrangerai pour fuir les déjeuners familiaux et surtout ceux du dimanche ! Je m’abstiendrai de parler politique à tort et à travers et de ressembler aux grands.