Alfonsina Storni, poèmes

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

Je vais dormir (Voy a dormir, 1938)

Dents de fleurs, coiffe de rosée,
mains d’herbe, toi ma douce nourrice,
prépare les draps de terre
et l’édredon sarclé de mousse.

Je vais dormir, ma nourrice, berce-moi.
Pose une lampe à mon chevet;
une constellation, celle qui te plaît;
elles sont toutes belles : baisse-la un peu.

Laisse-moi seule : écoute se rompre les bourgeons…
un pied céleste te berce de tout là-haut
et un oiseau esquisse quelques voltes

pour que tu puisses oublier… Merci. Ah, une dernière chose :
s’il venait à me téléphoner
dis-lui qu’il n’insiste pas et que je suis sortie…

***

La poétesse argentine Alfonsina Storni a écrit ce poème-testament trois jours avant de se suicider le 25 octobre 1938 en se noyant dans la mer à Mar del Plata en Argentine.

Alfonsina Storni (1892-1938) – Traduction Egon Kragel

.
.

Moi au fond de la mer

Au fond de la mer
il y a une maison de cristal.

Sur une avenue
de madrépores,
elle donne.

Un grand poisson d’or
à cinq heures
vient me saluer.

Il m’apporte
un bouquet rouge
de fleurs de corail.

Je dors dans un lit
un peu plus bleu
que la mer.

Un poulpe
me fait des clins d’oeil
à travers le cristal.
Dans le bois vert
qui m’entoure
-din don din dan-
se balancent et chantent
les sirènes
de nacre vert océan.

Et dessus ma tête
brûlent, dans le crépuscule,
les pointes hérissées de la mer.

.
.

Alfonsina Storni est née en 1892 à Sala Capriasca en Suisse et est décédée en 1938 à Mar del Plata en Argentine. Elle vit depuis l’âge de quatre ans en Argentine. Comédienne et auteur, elle publie un premier recueil Écrits pour ne pas mourir… Poétesse du postmodernisme argentin, elle est à la fois institutrice pour enfants attardés, égérie des bibliothèques populaires du Partido Socialista de Buenos Aires, et journaliste sous le pseudonyme de Tao Lao. Dès 1920, elle côtoie Borges, Pirandello, Marinetti et rencontre Federico García Lorca. Parmi ses œuvres, il y a Frente al mar (1919), Un cementerio que mira al mar (1920) et Alta mar (1934). Atteinte d’un cancer en 1938, elle se suicide comme dans ses poèmes. Ce tragique suicide inspira la chanson Alfonsina y el mar, de Ariel Ramírez et Félix Luna, qui est interprétée par de nombreux musiciens et chanteurs de langue espagnole dont notamment Mercedes Sosa, Nana Mouskouri et Miguel Bosé. Les éditions Losada ont réédité à Buenos Aires en 1997, une anthologie poétique qui lui est consacrée.

Poèmes, revue meet n°4 New-York/Naples, meet 2000