Le rendez-vous avec la mort ne peut être différé. Il est tellement urgent que son approche fige l'alentour dans une stase pérenne. L'eau et le ciel conjuguent une même noirceur. Leurs êtres fuligineux s'amalgament en une pâte sombre au chevet de tout commencement comme de toute fin. La scène qu'ils engluent se déroule dans un univers terminal aux dimensions surhumaines. On ne peut sortir de ce trou noir, il avale l'idée même d'un monde mouvant, d'un monde où le changement pourrait demeurer.
Après l'espoir, après la chute, après la fin et après les derniers réflexes subsiste la grandeur. Les masses gelées dans cette ambre sombre en imposent terriblement. Tout leur poids nous dit que rien ne pourra les faire bouger, car il n'existe aucune altérité. Elles sont le monde fini, sans sentiment, sans souvenir, privé par-dessus tout de la conscience d'exister. Dévolues à la fin, elles incarnent une mort dépourvue de félicité, une mort où l'idée même d'ouverture sur une autre vie paraît sacrilège.
Et pourtant il va résolument vers elle, cet être droit comme les ifs au loin. Elle est terrible la lumière qui le baigne. Elle sait qu'elle n'a rien à faire de l'illumination dansant dans les prunelles des humains. Demain, hier et à jamais elle peuple l'intérieur de ce qui a été un homme. Elle sait où elle va, là-bas, dans un espace qui est alloué à son porteur. Là-bas, elle ne brillera pas, elle témoignera, fantomatique, à l'attention des vivants.
A côté de moi, une jeune maman regarde gravement la toile en portant son enfant sur le bras. Il vient de lui mordiller l'oreille. En représailles, elle lui pince le nez doucement et il rit en secouant la tête.
Arnold Böcklin (1827-1901), artiste originaire de Bâle, a fait cinq versions différentes de ce tableau. Celle-ci, la première, fut réalisée en 1880. A partir de la troisième, il a ajouté ses initiales sur la tombe à droite de l'île.