Rue du viaduc, les clameurs se sont tues. La bande de Jules Bonnot (ci-contre) parait vaincue. L''armée est rentrée dans ses quartiers. Les policiers finalisent leurs enquêtes. La population rentre chez elle, satisfaite d'avoir pu se repaître du spectacle. Les héros du siège de Nogent viennent réclamer leurs médailles. Des morceaux de toile à matelas ensanglantés et des restes du dernier repas préparé par Valet et Garnier (des macaronis brûlés) sont dispersés par des marchands à la sauvette, avec des tuiles, des bouts de papier peint et tout un tas d'objets à l'intérêt macabre. Découverts dans les décombres fumants de sa dernière retraite, les Mémoires de Garnier sont scrutés à la loupe par les enquêteurs.
Reste maintenant à juger les rescapés de la bande. Le juge Gilbert met la dernière main à l'acte d'accusation, qui contient pas moins de 27 faits reprochés à 22 personnes. Deux femmes sont accusées de complicité et recel de vol :
- Marie Vuillemin (compagne de Garnier),
- Barbe Le Clerc'h (compagne de Metge)
Les autres doivent répondre d'association de malfaiteurs et d'accusations diverses :
- Raymond Callemin,
- Eugène Dieudonné,
- Elie Monier,
- André Soudy,
- Edouard Carouy,
- Marius Metge,
- Antoine Gauzy,
- Jean De Boë,
- David Bélonie (1)
- Léon Rodriguez (1)
- Jean Dettweiller,
- Jean-Marcel Poyer (3),
- Kléber Bénard (3),
- Rirette Maîtrejean,
- Victor Kibaltchiche,
- Henri Crozat de Fleury (1)
- Pierre Jourdan (2)
- Charles Reinert (4)
Il manque deux accusés :
- Louis Raimbault (ayant sombré dans la démence, il est interné et ne sera pas jugé).
- Bernard Gorodesky (en fuite, il ne sera jamais retrouvé).
Le jugement des membres survivants de la “Bande à Bonnot”.
Le 3 février 1913, le procès s'ouvre devant la cour d'assises, dans un prétoire bondé et surchargé de pièces à convictions. Le palais de Justice est sous garde renforcée. La jeunesse des accusés les plus compromis étonne. Callemin (22 ans) s'amuse de la situation, apprécie ou critique les dépositions de ses camarades et rudoie Gauzy qui pleurniche. Il ne se révèlera pourtant pas le plus brillant dans ses dépositions. Il est verbeux, s'embrouille sans ses phrases et fait clignoter ses yeux de myope quand il est pris en défaut. Marie Vuillemin, qui avait fait beaucoup de révélations sur Garnier, Bonnot et consorts, revient sur ses accusations dictées, dit-elle, par la police. Monier fait résonner son accent méridional.
Soudy est sans arrêt secoué de quintes de toux de tuberculeux condamné. Dieudonné crie à l'erreur judiciaire, jure qu'il n'y est pour rien, soutenu par un ténor du barreau, M° Moro-Giafferi (ci-contre). Rirette Maîtrejean (22 ans) est la plus combative et secoue procureurs et avocats qui viennent la chercher. Kibaltchice est calme et finit par imposer le respect. La complicité du couple est d'ordre moral : on les accuse de ne pas avoir dénoncé les bandits. Ils rétorquent qu'on les juge pour leurs idées, qu'ils ont condamné ces actes et que toute personne normalement constituée aurait fait de même.
A l'issue des débats, qui n'apportent pas grand chose à l'affaire, hormis le doute sur la culpabilité de Dieudonné, la peine de mort est requise contre Raymond-la-science, Monier, Soudy, Metge, Carouy et Dieudonné. Le verdict est prononcé le 27 février, à 4 h15 du matin, à l'issue de 13 heures d'attente, dans une atmostphère irrespirable. On appelle d'abord les acquittés : Rirette Maîtrejean, Léon Rodriguez et Barbe Clec'h. Rirette comprend avec effroi que son compagnon est condamné : condamné à cinq ans, il lui écrit un dernier mot émouvant, passé sous le manteau, plein d'espoir pour leurs retrouvailles, et qui se termine par ces deux phrases : «Profitez du soleil, des fleurs, des beaux livres, de tout ce que nous aimions ensemble. Mais je vous le demande en grâce, mon amie : ne revenez jamais, jamais dans ce milieu ».
Pour Callemin, Dieudonné, Soudy et Monier, c'est la peine de mort. Pour Carouy et Metge, ce sera la bagne à perpétuité, et pour De Boë dix ans de travaux forcés. Les autres s'en tirent avec des peines de prison légères. Callemin, enfin précis, reprend la parole, s'accuse -avec Garnier- du meurtre de Caby et innocente à nouveau Dieudonné. Les juges se retirent à nouveau mais la peine de mort est tout de même confirmée. On ramène les condamnés en prison, les quatre condamnés à mort revêtus de la camisole de force. A 9h, soit à peine cinq heures après le verdict, nouveau coup de théâtre : les gardiens découvrent Carouy mort dans sa cellule, empoisonné avec du cyanure qu'il dissimulait dans ses chaussures.
Le dernier acte se joue le 21 avril 1913. A trois heures du matin, le bourreau Deibler et ses aides montent la guillotine en attendant le jour. Puis le directeur de la Santé, son gardien-chef, les substituts et le juge d'instruction, le préfet de police, le chef de la sûreté, l'aumônier et les avocats vont en petit cortège réveiller les condamnés. Dieudonné (ci-contre) est le premier réveillé en sursaut. Il se réfugie terrifié dans un coin de sa cellule, puis fataliste : «Allons, j'aime mieux cela, ce sera plus vite fini !». On lui annonce alors qu'il est gracié. Il ne réalise pas, on doit lui répéter plusieurs fois. «Seul ?» demande-t-il ? «Oui…». Il retombe sur son lit et se met à pleurer. Pour lui, ce sera le bagne.
Les trois autres sont secoués dans leur lit et entendent la terrible nouvelle : «Votre pourvoi est rejeté !». Monier se ressaisit vite, boit le verre de rhum qu'on lui propose, remercie ses gardiens. Callemin réagit calmement aussi : «Voilà un jour qui sera sans lendemain !». Soudy se lève, demande un café et deux croissants. Comme on lui refuse les viennoiseries, il rouspète : «Je ne demande quand même pas l'impossible !». Il descend l'escalier en chantant : «Salut, ô mon dernier matin ! ». A 4h25, les formalités sont terminées, les trois condamnés montent dans le fourgon qui les emmène à l'extérieur de la Santé. A 4h30, le fourgon arrive au pied de la Veuve, au coin du boulevard Arago. On les fait sortir un par un. Les trois exécutions vont durer au total à peine 2 minutes.
Avant de subir le dernier supplice, les derniers mots de Soudy seront «Brrr... Comme il fait froid, ce matin, Messieurs !» On pousse le corps dans le panier et on appelle Callemin. Il descend en interpellant crânement le public : «C'est beau, hein, la mort d'un homme !». Et il se laisse entrainer sur la bascule en riant de bon cœur. Monier sort le dernier et lance avec l'accent du Midi : «Adieu à vous tous, Messieurs ! Et à la société aussi ! ». Il a un mouvement de révolte quand on le pousse vers la guillotine. Il faut le maintenir aux bras et aux chevilles au moment où le couperet tombe. Sa dernière vision sera les têtes de Soudy et Callemin déjà tombées dans le panier juste avant la sienne.
Fin
(1) Receleur des titres volés rue Ordener
(2) Lui et sa compagne hébergeait Callemin quand ils ont été arrêtés
(3) Jugés complices de l'attaque de l'armurerie boulevard Haussmann à Paris car détenant une arme volée à cette occasion
(4) Il a fourni un jugé suspect à Dieudonné.
Episode précédent : fort Chabrol à Nogent-sur-Marne.
La célèbre ballade chantée par Joe Dassin