Jean d'Ormesson
Admiré et adulé par les uns, traîné dans la boue par les autres, le moins qu'on puisse dire de Nicolas Sarkozy est qu'il n'a pas été indifférent aux Français de son temps. Il a été l'homme le plus détesté et le plus attaqué de France, celui que beaucoup ont adoré haïr. Fait, comme toute chose humaine, d'ombres et de lumière, d'échecs et de succès, son bilan a été à peine examiné et discuté. Il a été décrèté par ses adversaires nul et dramatique. Il a été considéré par les socialistes comme un fiasco. Il a été condamné d'avance et en bloc, avec hâte et légèreté, par une opposition peu portée à l'objectivité. Plus encore que son action politique, c'est surtout l'homme lui-même qui a été la cible de toutes les moqueries, de tous les sarcasmes, de toutes les calomnies. Il a été traité de menteur, de voyou, d'escroc. Il a été traîné dans la boue avec plus de violence que les figures les plus exécrées de notre longue histoire.
Il a été attaqué de toutes les façons possibles. Sur sa politique, sur son physique, sur sa famille, sur les femmes qu'il aimait, sur sa vie officielle et privée. L'époque est marquée par l'ironie et par la dérision. Mais lui, plus que tout autre, a été la proie des humoristes, des dessinateurs, des animateurs de radio ou de télévision, des conversations dans la rue ou dans les salons parisiens, et d'abord des journalistes et des politiques. On passait tout à François Mitterand, ses mensonges, ses faux bulletins de santé, ses écoutes téléphoniques, ses fréquentations douteuses, son train de vie et celui de ses proches. Il était si séduisant. On passait tout à Dominique Strauss-Kahn avant la catastrophe finale. Il était si amusant. On n'a jamais rien passé à Sarkozy.
Par un tour de magie orchestré avec soin, que les historiens, les sociologues, les psychologues étudieront après nous, le travail accompli pendant cinq ans pour faire face à la série de crises qui ont frappé les Etats-Unis, l'Europe entière et la France a été minoré avec subtilité. Non seulement, grâce à Sarkozy, la France s'en est tirée mieux que tous ses voisins - sauf l'Allemagne -, mais toute une rafale de réformes, dont la plus importante est la réforme des retraites, ont pu être menées à bien. Tout cela a été savamment occulté sous les attaques permanentes contre la personne du Président, son caractère et son comportement.
Il faut avouer qu'il a donné parfois des verges pour se faire battre. Il est impulsif. Dans le livre qu'elle lui a consacré, Catherine Nay a trouvé le mot juste: impétueux. Il est terriblement naturel. Il n'est pas dissimulé. Pas assez peut-être. Il est plutôt moins menteur que les autres qui lui reprochent tant de mentir. Il dit ce qu'il pense. Et il pense vite. Ce n'est pas un par-en-dessous qui ferait ses coups en douce. Les autres se cachent, se dissimulent, mènent leur vie à la bourgeoise, genre Nana, style 1880. Il étale tout. Il ouvre son coeur et sa vie. Il fait confiance aux autres. Et les autres en abusent.
Les Français n'aiment pas l'importance, la suffisance, le pompeux. Ils ont le contraire de l'importance, de la suffisance, du pompeux. Il est décontracté. Il est moderne. Catastrophe! Trop décontracté. Trop moderne. Ce n'est pas la gauche, qui lui a toujours été hostile, qui l'a fait tomber en disgrâce dans les sombres années 2008-2009. La droite l'avait pris pour héros. Il l'a choquée. Elle l'a lâché. L'opposition n'a fait qu'appuyer là où ça faisait mal.
Il a parlé aux journalistes, qui en ont fait des gorges chaudes, de Cécilia et de Carla. Cécilia était belle et froide. Elle lui a été redoutable. Elle ne l'entraînait pas toujours sur la bonne voie. S'il est battu le 6 mai, une des stupeurs de l'histoire à venir sera de constater que les racines de son échec ne sont pas à chercher dans la politique qu'il a menée, mais dans les deux heures qu'il a passées à fêter son élection dans une boîte trop élégante, avec des gens trop fortunés et dans les trente-six heures qu'il a passées sur un bateau un peu trop long. C'est assez invraisemblable. Mais les Français sont comme ça. Ils sont gais, charmants, travailleurs, courageux. Ils sont souvent jaloux les uns des autres. Les écrivains sont jaloux des écrivains. Les hommes de science se jalousent entre eux. Les voisins sont jaloux de leurs voisins. Et ils ne détestent pas les dénoncer.
De gauche ou de droite, les hommes politiques en France n'ont jamais cessé de fréquenter les bonnes tables et les grands restaurants qui font aussi partie du patrimoine français. Personne n'a jamais reproché à Mitterand ou à Strauss-Kahn, peut-être même à Hollande, de s'y rendre régulièrement. Mais, lancée par des journalistes, l'affaire du Fouquet's a été un scandale, un symbole noir, une édition moderne de l'affaire des poisons ou du collier de la reine.
La dernière version de l'affaire du Fouquet's consiste à mettre l'accent non plus sur le lieu - c'était trop absurde - mais sur la compagnie de gens, nous dit-on, du CAC 40. C'est oublier un peu vite les liens, par exemple, de François Mitterand avec Pelat, une des grosses fortunes de l'époque, soupçonné en outre de malversations. François Mitterand était venu à la télévision expliquer aux Français avec beaucoup de talent et des larmes dans la voix à quel point M. Pelat était un homme estimable. Personne ne croit plus d'ailleurs aujourd'hui que l'argent se situe plutôt à droite qu'à gauche. L'argent coule à flots à gauche autant qu'à droite et il serait trop facile d'énumérer des noms.
L'argent! Le premier reproche qui ait été adressé à Nicolas Sarkozy, le plus violent, le plus constant, se situe à la lisière de la politique et de la vie privée: Nicolas Sarkozy est le Président des riches. Il aurait avec l'argent des liens privilégiés. Mme Joly et quelques autres ont été jusqu'à l'accuser de malhonnêteté. Je crois qu'au milieu de tant de tentations et de compromissions, il est plutôt plus honnête que beaucoup d'autres. Il a voulu redonnersa dignité au travail et il pense qu'une nation moderne a besoin d'entrepreneurs pour assurer la prospérité générale. Mais il est loin d'être de ces hommes de magouilles auxquels, depuis des années, nous avons été habitués.
Il a été le premier à introduire à l'Elysée, jusqu'à lui domaine opaque et secret, une Cour des comptes à la tête de laquelle il avait nommé un socialiste. S'il a augmenté le traitement du Président, c'est que ses prédécesseurs étaient moins bien traités que le Premier ministre et compensaient du coup comme ils pouvaient un étrange manque à gagner. Jamais la transparence n'a été mieux établie au sommet de l'Etat. La décision de Hollande de réduire de 30% les traitements du Président et de ses ministres non seulement ne rapportera rien du tout, mais n'est que poudre aux yeux et pure démagogie. Et que se passera-t-il si l'on découvre que le Président gagne moins qu'un haut fonctionnaire ou qu'un dirigeant de société nationale. Drôle de justice!
Après l'impulsivité et l'argent, voici le troisième reproche constamment adressé par ses adversaires au Président sortant: il serait vulgaire. Vulgaire dans son langage. Vulgaire dans sa pensée. Vulgaire dans son comportement. Quand un imbécile et un mufle qui ignore les lois de la démocratie refuse de serrer la main du chef de l'Etat en lui disant quelque chose comme Touche-moi pas! Tu me salis, il ne peut pas s'empêcher d'éclater. Il lui dit: casse-toi pauvre con! Personne ne reproche sa muflerie à un mufle qui injurie la fonction du premier magistrat de la République. Tout le monde tombe sur le Président qui ne s'est pas conduit comme il fallait en employant les mots de tous les jours.
Les Français sont parfois étranges. François Bayrou flanque une gifle à un jeune voyou qui lui faisait les poches. Ils l'approuvent. Un maire un peu âgé flanque une gifle à de jeunes voyous qui l'assaillent. On le traîne en justice et on le condamne. Personne ne prend sa défense. La honte. Lui, parlant comme tout le monde et comme j'aimerais souvent parler à pas mal de gens, engueule un imbécile, et on lui en veut. Ou on fait semblant de lui en vouloir. La grammaire a été, après beaucoup d'autres, un terrain d'attaque privilégié contre le Président.
On n'ira pas soutenir que Nicolas Sarkozy est un chevalier blanc dépourvu de défauts. C'est un caractère fort, fait de contrastes, loin de toute hypocrisie, ennemi de la médiocrité. Si ses ennemis le détestent, ses amis lui sont fidèlement attachés. Il est capable de colères. Il est surtout capable de reconnaître ses erreurs et de se corriger. Contrairement à ce que répète sans se lasser l'opposition. Il n'a abaissé ni sa fonction ni le pays. Il est très loin de la caricature qu'ont donnée de lui ses adversaires.
Personne, même dans l'opposition, ne doute des qualités assez rares de Nicolas Sarkozy. Personne ne doute qu'il soit courageux, actif, intelligent. Il y a déjà assez longtemps, lors d'une affaire de prise d'otages dans une école de Neuilly, il avait payé de sa personne et réglé la question sans effusion de sang. Tout au long de sa carrière, les occasions de mettre à l'épreuve son courage et sa capacité de décision ne lui auront pas manqué.
Il a toujours mené ses campagnes tambour battant. Très éloigné de l'éloquence de la IIIe ou de la IVe République. Il est un orateur exceptionnel qui galvanise et entraîne ses auditeurs. Il est bon dans les débats. Il lui arrive de se tromper: il avait choisi Balladur contre Chirac en 1995. Mais il sait dominer la défaite comme il sait dominer la victoire. Il n'y a en lui rien de bas ni de tortueux. Une sorte d'élan plutôt gai.
Avec le courage, un des traits dominants de Nicolas Sarkozy est la tolérance. Emporté parfois, il est toujours extraordinairement tolérant. La fameuse couverture, tant critiquée et à droite et à gauche, n'a pas été seulement une manoeuvre politique. C'était l'expression d'un trait de caractère et d'un souci de compréhension des autres. La tolérance est un des thèmes classiques de la gauche. A beaucoup d'égards et très souvent, Nicolas Sarkozy s'est montré autrement tolérant que son opposition. Moins violent, moins blessant que ceux qui l'accusent de violence. Et infiniment plus tolérant.
Il y a fort à parier que le jugement de l'histoire infirmera la violence des jugements négatifs portés par beaucoup contre Sarkozy. Il a été un bon président. Et peut-être, on ne sait pas encore, on verra ça plus tard, peut-être, par contraste, un grand président. Il n'a pas été seulement le réformateur par excellence d'un système délabré qui, notamment dans le domaine des retraites, se serait écroulé sans lui. Il n'a pas seulement, dans les pires conditions, sauvé à plusieurs reprises l'Europe et l'euro. Il a joué un rôle considérable dans un monde où il a été le pair et l'égal des Obama, des Merkel, des Lula, des dirigeants chinois ou indiens, qui ont assisté avec étonnement au déluge d'insultes adressées à l'un des leurs pour qui ils avaient le plus souvent amitié et estime.
Les plus âgés d'entre nous se souviennent encore du couple Adenauer-de Gaulle qui a été à l'origine de l'Europe unie. Après, il y a eu le couple Kohl-Mitterand. On les revoit encore, ces deux-là, se tenant par la main. L'un grand, l'autre petit. Toutes ces dernières années, le couple Merkel-Sarkozy a évité le pire.
Nicolas Sarkozy a toujours préféré le courage à la popularité. Il a essayé de remettre le travail à l'honneur et de remettre la France au travail. Il a lutté avec succès contre la crise mondiale. Il a réformé ce qu'il était nécessaire de réformer pour éviter l'écroulement. Il n'était pas socialiste. A la tête de la Grèce, il y a eu un socialiste qui s'appelait Papandréou. Ca n'a pas bien tourné. A la tête de l'Espagne, il y avait un socialiste qui était une sorte de mentor et de modèle pour Hollande et les siens et qui s'appelait Zapatero. Ca n'a pas bien tourné non plus. Si Hollande est élu de 6 mai, si un hypoprésident est appelé à succéder à celui que l'opposition a appelé l'hyperprésident, le risque est grand pour la France socialiste de prendre le chemin de l'Espagne et de prendre le chemin de la Grèce.
Pour éviter ce sort cruel, il n'y a pas d'autre moyen que de voter demain en masse pour Nicolas Sarkozy.