Il
existe un genre, fort prisé dans le monde anglo-saxon, qui semble ignoré sous nos latitudes : la novella. C'est un court roman, ou une longue nouvelle, d'une centaine de pages à peine, un
équivalent littéraire du moyen-métrage cinématographique. On en lira de merveilleux exemples dans les recueils de nouvelles de Jim Harrison tels La femme aux lucioles ou Légendes d'automne. Le
lecteur a-t-il peur de ne pas en avoir pour son argent, l'éditeur craint-il que son livre ne fasse pas le poids ? Toujours est-il que ce format romanesque est quasi inconnu en France, et c'est
dommage.
Enfin, pas tout à fait. Il existe au moins un écrivain à qui sied la brièveté. Un écrivain aux formes sèches et lapidaires, maître de l'ellipse, qui sait profiter de l'espace étroit que lui
laisse une poignée de feuillets. Il s'appelle Yves Ravey.
Ses deux derniers romans, L'Epave et Bambi Bar ont élevé son art de l'épure à un niveau rarement atteint et Il s'agit là bien plus d'une esthétique que d'une économie. Bambi Bar est donc un
roman intimiste, un roman policier, un roman minimaliste, une fresque englobant les trafics internationaux, une saga familiale et un roman à énigme, le tout en 86 pages.
Qui est donc ce curieux Léon ? Etranger, discret au point d'intriguer le plus myope des gendarmes, solitaire, il vit dans un petit appartement à deux pas du Bambi Bar. Quels secrets tait-il à la
police et aux lecteurs ? Qui observe-t-il dans ces jumelles braquées sur les fenêtres surplombant le Peep-show voisin. Que veut-il réellement ?
C'est au dénouement de cette intrigue que va se consacrer Yves Ravey. On y croisera deux gendarmes à la recherche d'un chauffard, de troubles tenanciers d'étranges lieux de nuit, des femmes,
belles et lasses, un discret barman et un chauffagiste. Grâce à ces quelques âmes de papier, Ravey va convoquer le monde contemporain, sa violence, ses archaïsmes, ses soumissions et le courage
de ceux qui résistent.
Ce tour de force est possible parce qu'Yves Ravey sait idéalement doser l'économie de son texte. Conscient d'évoluer dans des genres déjà balisés, il se permet, grâce à l'ellipse, de laisser ici
ou là des blancs que le lecteur saura remplir. Et c'est donc notre plaisir de composer ce roman en compagnie de l'auteur. Un écrivain qui estime assez son lecteur pour lui donner une partie du
boulot à faire : c'est rare non ? Allez, tous au Bambi Bar, c'est ma tournée !