Il y a quelques temps, je vous avais emmenés à la rencontre d'un vigneron "très proche du terroir". N'allez pas croire que je manque d'inspiration et que je vous refais le même coup aujourd'hui ! Rhô, ce n'est pas le genre de la maison, m'enfin... ! Cette fois-ci, je vous invite à découvrir un vigneron "bio". Même amour de la nature et pas plus copain avec les produits de synthèse que le premier. Mais ce ne sont pas tout à fait les mêmes contraintes.
Un peu de viticulture pendant l'armée, on passe sur le BTS informatique aux oubliettes depuis longtemps, des formations (technicien oenologue, diplôme d'installation de base), salarié puis directeur sur un domaine. Son papa est déjà du métier, il reprend son exploitation. Et il replante sur des sols qu'il rachète. Rien de bien original. Sauf que... André Donat, propriétaire du domaine Dessus-Bon-Boire à Vaux (près de Auxerre), a choisi de cultiver et vinifier en mode bio.
- Alors, pourquoi bio ?
- Mais parce qu'on peut le faire !
- C'te bonne blague ! Oui, d'accord, mais encore ? A l'époque, le bio n'était pas encore à la mode pourtant...
- Le bio, non, mais le scandale des poulets élevés en batterie qui transmettaient une résistance aux antibios avait fait pas mal parlé de lui.
- Ah oui.
- Et quand j'ai entendu aussi parler de résistances aux produits que j'utilisais à peine 5 ans auparavant quand j'étais salarié, forcément, ça fait réfléchir...
- Oups, effectivement !
- Avec des produits de synthèse, on arrive à des impasses. Alors qu'avec le naturel non, alors que ce sont les plus vieux produits qui existent ! Réponse vraiment basique mais qui vaut ce qu'elle vaut : la nature comprend le produit naturel alors qu'elle ne comprend pas le produit de synthèse.
- Vu comme ça...
Résultat, conversion en bio de son domaine depuis 12 ans, et même quelques vignes en biodynamique (voir ce que c'est tout en bas de l'article, c'est assez space comme notion çà !), après bien sûr avoir suivi les formations qui vont bien.
Et donc, ça fonctionne comment tout ceci ?...
Côté vignes...
La grande différence avec le mode conventionnel, c'est qu'aucun produit de synthèse ne peut être utilisé. Donc le deal est de n'utiliser que des produits naturels et de trouver des astuces pour obtenir le meilleur résultat possible malgré tout. Et aussi de ne pas exploser les coûts de production... !
Par exemple, le cuivre est un anti-mildiou, mais il est moins efficace que l'équivalent de synthèse. Ruse de base, choisir des clones de variétés de pieds de vigne naturellement plus résistants si on est amené à replanter. C'est bête à dire, mais il faut y penser !
Comme l'utilisation de traitement anti-pourriture est proscrite, l'idée est de produire suffisamment (pour pouvoir en vivre, tout de même !) mais pas trop pour éviter que la concentration apporte trop de pourriture. Car quel est le meilleur antifongique naturel ?... réponse en vidéo :
vigneron biologique vin bio : l'air un... par testsdesophie
Côté champs conventionnel, c'est tout propre-nickel bien désherbé. Gros avantage : l'engrais chimique n'est absorbé que par la vigne. Pas de plantes concurrentes qui vont en boulotter en douce. Allez, un bon cocktail désherbant/engrais (le "pré-levé") pour doper la plante dès le départ. En bio que nenni interdit ! Ici, on laisse pousser de l'herbe, et on bine à la pioche autour des pieds pour l'enfouir dans le sol quand elle a trop poussé. Celle-ci nourrit le sol en se décomposant. Ok, ce n'est pas suffisant mais cela permet d'apporter un peu de vie sous terre (si le sol ne digère rien c'est la cata, il ne vit plus). Forcément, cela demande plus de travail qu'en conventionnel, car plus de passages à la main. Donc André utilise aussi un tracteur (hé, il a le droit tout de même !)
Autre avantage de travailler le sol : la vigne développe son système racinaire en profondeur, va chercher les aromes en profondeurs.
Tous les traitements sont faits à base de produits naturels : argile, prèle, bouillie bordelaise... Rien ne circule dans la sève (comme le feraient des antibios), que du contact. C'est léger et lessivé par la pluie.
Côté vendanges et vinification...
Machines dans les vignes, cuves, pompe à chaleur, l'appareil à mettre en bouteille, poste d'habillage (l'étiqueteuse). Bref rien d'extraordinaire côté matos. Hé, bio ne veux pas dire "tout à la main" ! Sans dec' !
Par exemple, les vendanges se font à la main (pratique pour trier ce qui est pourri ou non) et aussi mécaniquement. Présentation de la bête (rien de bio dans tout ça, mais présentation rigolote des avantages et inconvénients de l'engin !) :
vigneron biologique vin bio : machine (astucieux... par testsdesophie
La différence avec le conventionnel porte sur d'autres points :
Au niveau de la vinification, lors de la 1ère fermentation, pas possible de faire l'impasse sur le levurage pour transformer le sucre en alcool. Il n'existe pas de levure bio en vente. Le jour où il y en aura André sera obligé d'en acheter s'il souhaite en utiliser. Mais lui utilise en priorité les levures qui sont sur le raisin. "Comme on en a, on ne va pas en acheter !".
Et puis, le levurage apporte aussi un arôme particulier au vin par production d'esters. Chaque référence de levure dans le commerce correspond à un arome. Alors que les levures indigènes qui se trouvent sur la vigne forment un cocktail en adéquation avec le sol.
- C'est plutôt bien : on travaille dans l'harmonie, c'est économique, et ça donne une identité parcellaire. Si on utilise une levure achetée on standardise. L'arôme de banane du Beaujolais c'est la levure, le vin perd son identité propre !
- Mais comme il n'y a pas de cahier des charges en bio pour les levures donc tout le monde peut levurer sans se soucier de ceci...
- Et bien non ! Au niveau des bios, y'a que des pignoufs qui levurent !! Pourquoi standardiser alors qu'on a tout fait pour se distinguer ! Et puis c'est un atout pour la vente d'avoir un produit différent. Surtout si elle coute 50ct de plus, au moins elle est différente."
Par contre, il y a des exceptions. On constate souvent une carence azotée en bio, et la levure a besoin d'azote pour fonctionner, sinon arrêt de la fermentation aaargh : "Lors d'un arrêt de fermentation là il faut bien en utiliser. Le bio, ce n'est pas de l'intégrisme !"
Sinon, les conventionnels font attention très précisément à la température de la cave (par exemple pour maintenir les rouges à 12° pour qu'ils soient très colorés). André utilise sa pompe à chaleur uniquement pour éviter les accidents et non pour maintenir la fermentation à un d° précis. Et un poêle à bois alimenté en bois de ses vignes et de ses cerisiers lors de la 2ème fermentation, la fermentation malo-lactique. Cela évite un gros surcoût en électricité pour l'exploitation, et donc d'exploser les prix de vente au final.
Et puis la clarification se fait par filtration douce grâce à de la bentonite (poudre d'argile) et de simples filtres en papier. C'est une clarification naturelle par "collage" qui permet d'obtenir des vins clairs. Elle adsorbe par polarité et entraine les impuretés. A n'utiliser que pour les vins blancs, parce que ça décolore le vin rouge !
Enfin, le soufre est utilisé en quantité limitée. Ce n'est pas plus mal pour avoir moins mal au crâne !
... Ok, mais le bio est-il vraiment bio ?
... Et si le voisin ne joue pas aux mêmes règles du jeu ?
"Et si le gars en bio cherche à filouter ?"
La conversion en bio ne se fait pas juste décorant l'étiquette du vin avec le label bio. Il faut que le produit soit conforme et cela ne se fait pas en un claquement de doigts ! L'exploitant fait une demande et reçoit au début une attestation de l'organisme spécificateur comme quoi il est "certifié". Il reçoit des aides de l'Etat pendant cette période de conversion.
Pendant 3 ans pour les cultures pérennes telles que vignes, vergers (2 ans pour les céréaliers), le travail se fait en bio, mais il ne peut pas vendre bio. André a commencé sa conversion en 2000 et a vendu bio pour la première fois en 2004.
Et ensuite, le gars en bio subit 2 contrôles par an. Le 1er est administratif (l'exploitant est prévenu pour qu'il sorte tous ses dossiers). Le 2ème est inopiné et analyse les produits. Ca se passe comme ça (scouzy pour le bruit du vent et le cache-objectif dans le champs de l'image !) :
vigneron biologique vin bio : controles par testsdesophie
C'est sur que le 1er contrôle n'a pas vraiment d'intérêt. Si le type veut acheter du chimique, il demande à un de ses copains en conventionnel de le faire pour lui. Pas de trace comptable. Pour le contôle inopiné par contre, impossible d'échapper au constat de fraude. Les analyses décèlent forcément un soucis.
"Et si le gars en conventionnel contamine la culture du gars en bio à côté ?"
Si un gars en bio a une suspission de contamination de son champs, il appelle Ecocert qui fait des prélèvements pour analyses. Fin de l'épisode pour le vigneron. Il laisse tout en plan et il est remboursé par son "assurance récolte" du montant auquel aurait été vendue son vin. Les assurances n'aiment pas trop, logique. Le gars en conventionnel responsable de la souillure se fait taper sur les doigts par sa propre assurance qui a du payer les frais : s'il récidive celle-ci peut décider de ne plus l'assurer. Bref, il n'a pas trop intéret à se laisser aller à être négligent.
Mais en fait, une contamination est vraiment exceptionnelle. Le voisin fait attention et de toute façon pulvérise ses produits de traitements chimiques avec un appareil à basse pression. A la rigueur il peut y avoir quelques gouttes projetées en bordure de la parcelle bio. C'est tellement minime qu'on ne retrouve rien sur la globalité du volume. Et pourtant les contrôles vont jusqu'aux limites de détection !
Y'a plus qu'à déguster et acheter !
Dégustation convainquante à 100%, les vins d'André sont très bons.
En général bio coûte plus cher, ça on s'en rend compte pour tous types de produits. Pour profiter d'un effet de mode et assommer le client ? Pas vaiment en fait :
Plus de travail...
vigneron biologique vin bio : coûts de... par testsdesophie
Et moins de rendement...
vigneron biologique vin bio : coûts de... par testsdesophie
Pour tout ce qui est matériel, achat d'occas' de rigueur pour limiter les frais. Et l'utilisation des levures indigènes, le peu d'emploi de la pompe à chaleur, etc... compensent une partie du sur-coût. Pas totalement, mais c'est toujours ça. Alors ne rechignons pas à payer un poil plus pour manger bio !
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Bonus
Pas toujours facile de s'y retrouver entre tous les logos quand on veut manger bio ! Un clin d'oeil de Martin Vidberg sur son blog L'actu en Patates qui va en faire frissoner d'horreur plus d'un...
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Et pour passer au cran au-dessus...
La bio-dynamique, c'est quoi ? Une histoire de message subliminal d'image positive via la bouse de vache dynamisée vers le sol.... :
Principe de la bio-dynamie en agriculture par testsdesophie
Dans le même genre, André nous a aussi parlé de ceux qui crament des noctuelles (chenilles qui viennent manger les bourgeons de vigne) et en saupoudrent les cendres pour apporter le message aux autres noctuelles de tailler la route.