Par la faute d’un calembour peu inspiré de Jacques Dutronc, on n’a cessé de diffamer le cactus sous nos latitudes où ne pousse plus rien de piquant, et je ne parle pas que des plantes. Dutronc aura peut-être raison quand le réchauffement de la planète aura changé nos vertes prairies (enfin nos champs blindés de pesticides et d’OGM sillonnés d’autoroutes) en déserts arides, mais pour l’instant l’état du monde ne doit rien à une supposée méchanceté des cactus mais seulement à l’unique espèce qui pratique la prédation par plaisir et par négligence.
En effet, rien de moins exigeant qu’un cactus. Pour les gens comme moi qui ne se reproduisent pas car ils n’en voient pas l’utilité, c’est le compagnon végétal idéal quand on tient absolument à s’occuper d’un être de petite taille. Moi qui serait capable de laisser un nourrisson mourir de faim par pure distraction et par incapacité à communiquer avec ces gnomes qui parlent encore plus mal qu’un footballeur, je ne trouve que des qualités aux cactées et aux plantes succulentes qui réclament très peu de soins et qui ne se privent pourtant pas de réjouir les yeux et l’esprit.
D’abord l’idée qu’elles se contentent de boire un peu d’eau de temps à autre me les rend extrèmement sympathiques. Par ailleurs, plusieurs de leurs variétés produisent des stupéfiants (mescaline et peyotl) autrement plus sains et plus efficaces que toutes les drogues industrielles et bas de gammes dont regorgent nos supermarchés, on y reviendra quand on parlera du chamane et de la sorcière. Enfin la plupart des cactus produisent des fleurs splendides, qu’il est difficile de cueillir sans se piquer, et c’est tant mieux. Foutons la paix aux fleurs, laissons les sur leurs tiges, et compensons notre besoin de beauté par l’art . Si ce n’est pas pour ça qu’on l’a inventé je me demande bien pourquoi on persiste à écrire, peindre, chanter, et créer.
Enfin, j’ai ma petite idée et elle m’est venue en observant mes cactus et les vieux chardons du Conseil constitutionnel. Qu’on cueille la tulipe fragile, où qu’on s’use les méninges et les doigts à composer une bluette, ce n’est pas toujours poussé par les forces mystérieuses de l’inspiration et de la beauté du monde. C’est parfois aussi pour des raisons moins avouables, en un mot comme en cent c’est aussi pour pécho/attraper/séduire/courtiser/envoûter, rayer les mentions inutiles en fonction de votre niveau de glucose dans le sentiment, de vocabulaire et d’excitation. Et je vous passe toute la symbolique sur la cueillette de la fleur, sur le champ lexical de la défloraison, et autres explications pudiques et poétiques sur l’offrande de l’exploration d’un milieu pourtant plus voué à la croissance des champignons.Reste qu’il est permis de juger de quelqu’un en fonction du respect qu’il voue à la flore.
Conservons d’ailleurs la métaphore florale au choléstérol romantique, et gardons à l’esprit notre fleur de cactus bien gardée par ses aiguillons, pour des préoccupations plus concrètes. Les barbons du Conseil Constitutionnel cités plus haut ont invalidé la loi sur le harcèlement sexuel suite à la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par un accusé, au motif que ladite loi était trop floue depuis qu’on lui avait enlevé son critère hiérarchique. Comme si on ne pouvait harceler que son subordonné, ce qui est révélateur du rapport qu’on entretient à la hiérarchie dans ce pauvre pays. En période électorale, nous n’avons plus de Parlement pour légiférer sur un sujet pourtant épineux (comme un cactus), les sénateurs peuvent pioncer sans risquer l’opprobre du citoyen soucieux de la bonne utilisation des fonds publics, et toutes les affaires de harcèlement sexuels sont donc annulées. On comprend l’ire des féministes. Et elles n’ont pas fini de s’énerver.
En Israël, des femmes ont organisé à Jérusalem une « marche des salopes » pour protester contre les comportements misogynes dont elles sont victimes au quotidien. Je déplore amèrement que le terme « salope » ait une origine lorraine selon certains étymologistes, entre ça et Jeanne d’Arc notre malheureuse région n’aura pas fait grand chose pour la cause féministe. Mais je déplore encore plus que le terme porte toujours une connotation morale et moraliste plutôt que d’être récupéré à des fins libertaires. Et je me désole à l’idée que tant de monde ait encore du mal à comprendre que la première des libertés sexuelles c’est le droit de dire non, quels que soient le rythme de son activité lubrique et la variété des partenaires auxquels, on se donne, on se prête ou on se refuse. Et il n’y a pas que les femmes qui devraient se laisser pousser les aiguillons. En Russie, un activiste de la cause gay s’est fait enchrister à St Petersbourg pour avoir déclaré que les homosexuels ne viennent pas d’une autre planète, qu’ils ne souffrent d’aucun problème mental, et qu’ils ne vont pas pervertir la jeunesse en prônant une sexualité exempte de l’obligation de produire de futurs citoyens.
Les seuls pervers qui existent, ce sont ceux qui considèrent encore le sexe comme un sport de combat ou une variété sensuelle de la chasse, ceux qui veulent mettre un flic dans la tête et dans la culotte de chacun, ceux qui trouvent que les victimes d’agressions sexuelles l’ont quand même un petit peu cherché, ceux qui veulent aliéner là où il devrait y avoir jouissance et liberté, bref tous ces impuissants, frigides et frustrés qui ne jouissent que comme les personnages du Marquis de Sade, dans une morale du viol et de la flagellation où le genre serait inné et immuable.
D’où la force de l’image du cactus fleuri cerné de piquants, (ou de la rose et de ses épines si vous préférez, mais je préfère ma métaphore, d’une parce que je m’aime beaucoup alors que je vous connais pas , et de deux parce qu’on peut filer cette métaphore en insistant sur la frugalité du cactus et sa solitude désertique, j’y reviendrai si vous m’y faites penser).
En effet, puisqu’il est illusoire de penser que le règne de la politesse et du respect est sur le point d’émerger d’un coup de b(r)aguette magique, on peut en attendant se cultiver comme des cactus, produire des fleurs resplendissantes et développer une main experte qui pourra éviter les piquants de ses congénères sans tuer toute la plante en la cueillant définitivement. En toutes choses, soyons horticulteurs.
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