La lecture récente du petit livre d'Erik Neveu, "Les mots de la communication politique" (Presses Universitaires du Mirail) m'a permis de me replonger dans ce qu'il y a de plus exaltant dans la manière dont, depuis des siècles, les hommes bâtissent des cathédrales de mots pour défendre leurs idéaux et emporter la conviction de leurs semblables. Pour chaque citoyen, cette lecture est un rafraichissement intellectuel des plus utiles afin de décrypter, dans l’écriture, dans les discours, les clichés et poncifs de toutes sortes comme elle est utile à ceux qui, agissant au service des autres, veulent faire œuvre de pédagogie pour expliquer leur action.
Cependant, finissant l'opus, un certain découragement m'avait gagné considérant le règne de l'image qui désormais fait plus sens que le verbe. Car si la mode est au storytelling, les mises en récit modernes semblent toutes tourner le dos à l'axiome biblique du "Au commencement était le verbe". A quoi bon pérorer et étudier l’art de la rhétorique lorsque, en effet, trente secondes d’images en version bande-annonce d’une superproduction hollywoodienne permettent habilement d’éluder la complexité du monde et emportent la décision ?
Combien d’hommes publics, à l’heure du tweet et des chaînes d’infos en continu, de la TV connectée et de la timeline facebookienne considèrent encore comme modèle d’argumentation les préceptes du « Commentariolum » ; les lettres échangées entre les deux frères Quintus et Marcus Tullius Cicéron au 1er siècle avant notre ère, lettres chargées de préceptes toujours vifs pour une campagne électorale où l’argumentation est reine ? Combien d’hommes publics encore, considèrent les lettres ou les humanités utiles à l’heure de la réduction considérable de l’usage quotidien du nombre de mots et de figures de style ?
Effectuer une métaphore dans un discours, passe encore ; une périphrase, tout le monde suit ; un euphémisme, une hyperbole, tout le monde les pratique un peu à la Monsieur Jourdain ; mais serez-vous compris à pratiquer l’art de la litote ? Qu’arriverait-il à s’essayer à l’hypallage ? Ne vous prendrait-on pas pour quelqu’un d’hésitant si vous vous aventuriez dans une anacoluthe ?
Mais n’est-ce pas justement le prestige de la rhétorique que de donner de la chair, que de désembourber les constructions abstraites, que d’élever le récepteur du message au niveau de la complexité du débat ? Et c’est justement l’honneur de François Hollande que d’avoir, dans le cadre du débat télévisé de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, non seulement permis à bon nombre de journalistes cathodiques sevrés aux phrases émaciées de découvrir une figure de style, l’anaphore ; mais ce faisant, d’avoir permis de réhabiliter tout simplement le bon usage de la langue au plus haut niveau de l’Etat.
« Moi Président de la République ».. Déclamée 15 fois, l’anaphore le fut avec un naturel qui a tellement surpris que beaucoup glosent encore sur la « préparation » putative de la tirade ! Car hors le répertoire de la Comédie Française, où trouvent-on encore des dirigeants, des acteurs publics de premier plan assez audacieux dans la maîtrise de la langue pour reproduire ce qui semble, aujourd’hui, une coquetterie de langage impensable, surannée ?
« Moi Président de la République ».. L’anaphore est digne des vers d’Horace, de Corneille (acte IV, scène 6) : « Rome, l’unique objet de mon ressentiment ! Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant ! Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore ! Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore ! ». Et en tout état de cause, elle demeurera désormais un grand classique des débats présidentiels aux côtés du « monopole du cœur » ou de « l’homme du passé et l’homme du passif » !
Et si jamais la découverte de l’anaphore par les journalistes, les communicants, les décideurs, les citoyens tout simplement pouvait rendre ses lettres de noblesse à notre langue, alors (quitte à utiliser une autre figure de style, « la dorica castra »), j’applaudirai vivement ce changement ; et le changement c’est maintenant !