A l'instar des Burkinabè, des millions d'Africains ont sans doute suivi avec intérêt, mercredi dernier, le débat radio-télévisé ayant mis aux prises le président français sortant, Nicolas Sarkozy, et son adversaire socialiste, François Hollande.
Dans ces pays francophones où l'élite politique est passionnée de rhétorique et d'invectives à la française, les échanges entre les deux personnalités ont du même coup ravivé l'esprit critique du citoyen.
Car, ils ont permis de révéler les failles des expériences démocratiques en cours. Celles-ci, le plus souvent, sont tributaires de la mauvaise foi manifeste d'une élite cupide et très corrompue.
Au-delà du contenu programmatique, ce qui a séduit les Africains durant les trois heures de prestation, c'est davantage le principe même du débat, sa faisabilité et le respect des règles du jeu par les différents intervenants. Pourquoi de telles expériences sont-elles rares, sinon inexistantes en Afrique ?
Après cinquante ans d'indépendance marqués par la servilité, les singeries de toutes sortes, pourquoi et comment ne pas imiter ce qui apparaîet comme le summum d'une démocratie exemplaire ?
Certes, quelques expériences ont déjà été tentées par-ci, par-là. La dernière en date, c'est le débat radio-télévisé ayant opposé au dernier scrutin présidentiel, les deux candidats ivoiriens Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. La suite, on la connaîet : pas heureuse du tout.
Preuve que si les expériences démocratiques sont bancales en Afrique, c'est d'abord le fait des élites. Mal inspirées, ces expériences sont également ficelées de manière médiocre, parce que la mauvaise foi est au centre de tout.
Et cela durera aussi longtemps que règnera dans l'appareil d'Etat et se maintiendra au centre des affaires, une élite irresponsable, corrompue et cupide.
Le manque de sérieux de l'élite politique africaine explique-t-il cette quasi absence d'intérêt pour l'Afrique dans ce débat aux thèmes largement franco-français
? L'Afrique fut en effet pratiquement absente des échanges entre Sarkozy et Hollande et de façon générale au cours de la campagne électorale. A peine a-t-on effleuré la diplomatie française en Afrique. Rien sur la « rupture » !
Le modèle français tel que perçu à travers le débat radio-télévisé de mercredi, a donc pu laisser un arrière-goût amer chez nombre de citoyens des pays francophones du continent.
Tout en savourant les réparties entre Hollande et Sarkozy, l'auditoire africain a dû déplorer leur manque d'attention à l'égard du continent. De même, on a dû encaisser difficilement certains éléments du discours tenu pendant le débat.
Fidèles aux stéréotypes, ils donnent en effet de l'Afrique une image hideuse. Des exemples ? Le fait de travestir le flot des immigrants d'Afrique, au point de les réduire à un groupe de fidèles musulmans tout aussi suspects. Egalement, les allusions aux prises d'otages français au Sahel, etc.
Caverne d'Ali Baba, le continent demeurera donc encore longtemps dans les esprits de certains ressortissants de l'Hexagone ce « no man's land » où sévisent preneurs d'otages, islamistes, narco-traficants et gouvernants sans envergure. Pour l'essentiel, ce débat a prouvé que n'importe qui n'est pas habilité à diriger la France.
S'il faut bénéficier d'une assise politique, il n'en est pas moins vrai que le candidat doit disposer d'une grande faculté intellectuelle. En dépit de quelques défaillances humaines qu'on peut comprendre, Sarkozy et Hollande ont démontré qu'ils maîetrisent bien les dossiers français et européens. Certes, certaines radios et télés africaines ont relayé l'émission.
Mais saura-t-on pour autant tirer profit de l'expérience pour élargir, enrichir le débat démocratique et favoriser l'émergence d'une nouvelle classe politique ?
Cet exercice qui est rare en Afrique, devrait pourtant y faire école. Dans l'optique d'un renouvellement du leadership, il faudra pouvoir le multiplier afin de disposer de candidats à la hauteur.
Cela signifie tout d'abord que les mentalités doivent évoluer chez les élites politiques civiles et militaires. Une vraie démocratie ne se construit pas avec des médiocres.
Il y a des principes et des règles à respecter. Et l'état du monde aujourd'hui commande que les rênes d'un pays soient entre les mains de gens moralement sains et intellectuellement à la hauteur. La confrontation des idées peut y aider. Aussi l'Afrique nouvelle doit-elle vite s'y atteler.
Ce dimanche 6 mai, les citoyens français éliront leur futur président. Qu'attendre donc de celui à qui les Français vont confier leur destin pour les cinq prochaines années ?
L'Afrique ne doit pas en attendre grand-chose. Que le gagnant du scrutin présidentiel du 6 mai soit de droite ou de gauche, ce sera « bonnet blanc », « blanc bonnet » ! Ce candidat issu des urnes ne fera que défendre les intérêts français. Comme tous ceux qui l'ont devancé.
Il ne faut point se bercer d'illusions. L'Afrique a sans doute été charmée par le débat Holland-Sarkozy. Mais le passé instruit. Voilà pourquoi il faut souhaiter que dans les cinq ans à venir, durant son mandat, le nouvel occupant de l'Elysée saura être à l'écoute du continent noir.
Il est en effet inadmissible, après des siècles de relations, que les échanges demeurent marqués du sceau de l'exploitation éhontée des richesses africaines par l'ancienne puissance coloniale, de la condescendance dont ses représentants font preuve à l'occasion et à tous les niveaux, et du mépris qu'il affiche à l'endroit des habitants de ce vaste continent.