Délits d’Opinion : Quel a été l’impact de ce débat sur l’opinion ? Un vainqueur s’est-il clairement dégagé ?
Jean-Daniel Levy : « Nos études démontrent que, pour une petite majorité (relative) de Français, c’est François Hollande qui est apparu le plus convaincant (31% contre 29% Nicolas Sarkozy). Au regard de ce que les observateurs anticipaient, cela peut constituer une surprise dans la mesure où le Président actuel était présenté comme le meilleur débatteur et parce qu’il abordait ce rendez-vous dans la peau du « challenger ».
Le deuxième élément que nous avons pu identifier ce n’est pas l’appréciation des orateurs en tant que tel, mais plutôt la confirmation des positions établies par une grande majorité des sympathisants des deux camps qui ont été séduits par leur candidat. Au fond, les lignes ne semblent pas avoir bougé fortement dans la mesure où les candidats ont été dominants sur leurs thématiques de prédilection : pour faire vite le social pour François Hollande, l’immigration et l’insécurité pour Nicolas Sarkozy.
Cette situation rappelle que, historiquement, cet exercice n’a jamais été en mesure de modifier nettement les rapports de force en place. Ajoutons à cela qu’en 2012 on compte plus de 80% d’électeurs qui se déclarent, et ce depuis plusieurs semaines, certains de leur choix pour le second tour.
Enfin, le dernier élément qui ressort de nos études c’est la « présidentialisation » nouvelle de François Hollande et ce que les Français disent avoir retenu de son intervention : le calme, le sérieux, la posture et l’argumentation. Autant d’indices qui pourraient modifier, dans le temps long, l’image de celui qui est encore perçu comme le candidat de la Gauche. »
Délits d’Opinion : l’entre-deux tours a-t-il été un moment à part ou la continuation de la campagne ?
Jean-Daniel Levy : « Les quinze derniers jours ont permis à Nicolas Sarkozy de modifier de manière plus sensible sa campagne si on la compare cela avec celle de François Hollande. Les nombreux « appels du pied » à l’électorat du FN constituent à ce titre la preuve la plus flagrante de cette modification de la stratégie. Pourtant, si on a pu observer un dégel des électeurs de Marine le Pen vers Nicolas Sarkozy (et notamment d’une frange de ceux qui envisageaient au soir du premier tour de s’abstenir) ce mouvement n’apparait pas massif.
Les électeurs de Marine Le Pen envisageaient depuis de nombreuses semaines une confrontation au deuxième tour entre Nicolas Sarkozy et François Hollande et n’ont pas été surpris de voir de cette configuration électorale. A Gauche, François Hollande est – aux yeux des électeurs – demeuré fidèle à sa « ligne », sans remettre en cause la stratégie qui est la sienne depuis plusieurs mois ».
Délits d’Opinion : Dans le contexte actuel et au regard de l’offre électorale, le candidat Sarkozy avait-il une alternative à la « ligne Buisson » du « à droite toute » ?
Jean-Daniel Levy : « Il faut tout d’abord rappeler que Nicolas Sarkozy est arrivé très « abîmé » à cette élection. Sa popularité a tutoyé les plus bas niveaux jamais mesuré et sa personnalité a clairement polarisé les débats. Cet état de fait repose sur éléments ; sa personne (avec une critique de son incarnation de la fonction présidentielle) et son bilan, jugé décevant par une partie de son électorat.
Ce que l’on a pu noter c’est sa difficulté à faire comprendre aux électeurs la ligne directrice de sa politique, et ce tant pour les cinq années passées que pour le quinquennat à venir. Ces déficits semblent, jusqu’à présent, lui avoir fait défaut ».
Délits d’Opinion : A 53/47 selon les instituts, peut-on dire que l’on se trouve au-delà de la marge d’erreur et que l’élection est jouée ?
Jean-Daniel Levy : « Lorsque l’on regarde les précédentes enquêtes réalisées par les instituts à 72h d’une élection présidentielle, nous n’avons jamais relevé un revirement majeur. En effet, même en 1974 lorsque Valéry Giscard d’Estaing était donné vainqueur d’une courte tête, les résultats ont confirmé la tendance identifiée par les sondages.
Si l’on devait observer une modification profonde de ce rapport de force, il faudrait la conjonction de plusieurs facteurs. Tout d’abord il faudrait une montée de l’appropriation par les Français des thématiques sur lesquelles Nicolas Sarkozy est en position de force (immigration, sécurité…) mais également perception, par les électeurs, que ces éléments devraient être les plus importants dans le cadre de cette élection.
Autre élément pouvant modifier le rapport de force : une forte mobilisation des abstentionnistes du premier tour. A ce stade nous n’identifions pas de tel mouvement dans l’opinion.
Pour conclure, il faut avoir en tête que depuis six mois toutes les enquêtes indiquent que le duel opposera Sarkozy et Hollande et que c’est Français Hollande qui se trouve en position de l’emporter. En six mois, jamais Nicolas Sarkozy n’a été placé en tête et jamais les Français n’ont pronostiqué sa victoire au second tour. Aussi, si un mouvement est encore possible, il n’existe aucun signe d’une modification du rapport de force ».