J’ai toujours eu un rapport étrange avec la vieillesse. Certainement parce que j’ai toujours été entouré de vieux. Mes parents m’ont eu très tard et j’ai principalement été éduqué par mes grands parents. Petit, j’enviais mes amis. Ils avaient la chance d’avoir des échanges plus dynamiques avec leurs parents. Les miens étaient bien loin d’anticiper mes envies ou mes attentes. Ils étaient issus d’un milieu traditionaliste, populaire côté maternel, bourgeois et très à droite côté paternel. Ma grand-mère paternelle était assez stricte. Elle n’hésitait jamais à sévir et commençait toujours à éructer en anglais quand j’avais fait une bêtise. D’origine écossaise, elle avait certainement hérité son caractère de hyène et sa méchanceté d’une quelconque Lady Macbeth. J’ai eu la chance de ne pas avoir à la subir trop longtemps. La mégère est passée sous une voiture à la fin des années soixante-dix.
A l’opposé, ma grand-mère maternelle a toujours été présente. Nous venons de fêter ses 96 ans et elle passe actuellement quelques jours à Paris. Elle vieillit, comme tout le monde, mais garde toujours les mêmes yeux pétillants. Elle est pleinement autonome et vit toujours seule dans sa maison corrézienne. Ma vision de la vieillesse est baisée par ma mère. À 71 ans, elle refuse toujours d’entrer dans le club des retraités. Depuis près d’un an, elle travaille à mi-temps pour une maison de couture et s’amuse comme une folle. Elle ne travaille pas par besoin. Juste pour le plaisir de faire de nouvelles rencontres et de garder un pied dans la mouvance parisienne. Cette activité professionnelle lui a certainement permis de réduire les effets du temps. Elle aime s’apprêter, reste coquette et ne pense plus au mouroir que représenterait pour elle la retraite.
Mon amie Vicky était sur Paris la semaine dernière. Je lui ai naturellement proposé de venir déjeuner à la maison, maison qui n’est plus la mienne depuis près de 10 ans. Je me souviens encore avec délices des moments passés dans cet appartement en sa compagnie, celle de Snooze et du reste de la bande. Ma mère me laissait souvent seul à l’époque. C’était la fête du slip. J’avais l’appartement pour moi tout seul et j’y faisais ce que je voulais, sans aucune pitié pour les voisins. Vicky est finalement arrivée juste après le déjeuner. Je me marrait intérieurement. Cela faisait presque dix ans qu’elle n’avait pas vu ma mère, ma grand-mère et mon gros chat. Elle allait retrouver deux vieilles, un chat obèse arthrosique et un appartement sentant la lavande et la naphtaline.
Le saut brutal dans le temps ne semble pas avoir eu lieu. La mayonnaise a pris, comme si le temps n’avait pas passé. Nous avons quitté l’appartement tous les deux et avons marché quelques mètres jusqu’au métro. Le temps de se souvenir à nouveau de nos ballades dans le quartier et des bons moments passés ensemble. Ma mère, de son côté, se préparait à recevoir l’inconnu mystère avec lequel elle passe tous ses samedis. Love affair et activité professionnelle semblent décidément faire partie des ingrédients de la jouvence.