Rares sont les avions commerciaux qui franchissent le cap symbolique des 1 000 exemplaires construits. ATR (Avions dce Transport Régional) en fait partie depuis le 3 mai après la livraison à la compagnie régionale espagnole Air Nostrum d’un ATR 72-600. Un événement qui intervient 27 ans après la réception par Air Littoral du tout premier ATR 42.
Aeritalia (devenu Alenia Aermacchi) et Aerospatiale (fondue dans EADS) avaient fait preuve d’une grande audace en développant conjointement un biturbopropulseur régional à 44 places, résultat de la fusion de deux projets nationaux. A l’époque, de nombreux prétendants s’affrontaient sur un marché difficile, d’autant que nombre de voyageurs affichaient un préjugé résolument négatif face aux avions «à hélices». C’est-à-dire injustement assimilés à une technologie dépassée, tout le contraire des progrès accomplis, notamment, par le motoriste Pratt & Whitney Canada.
Peu à peu, ATR a tissé sa toile, la fabrication étant répartie entre usines françaises et italiennes et les sous-ensembles acheminés vers une chaîne d’assemblage unique, à Blagnac. Une version militaire ATR 42M, dotée d’une rampe de chargement arrière, qu’il était prévu d’assembler à Pomigliano d’Arco, près de Naples, fit l’objet d’une promotion intense mais, faute de partenaire et de clients de lancement, fut abandonnée. De même que Xian Aircraft, en Chine, renonça à entreprendre la production sous licence de l’avion.
Henri-Paul Puel, charismatique premier patron d’ATR, commentant le lancement du programme, s’était écrié : «nous en vendrons mille !» Des sourires entendus lui répondirent sans imaginer que cet objectif serait atteint et même largement dépassé. On imagine sans mal la grande satisfaction de «HPP», lors de la grande cérémonie organisée à Blagnac le 3 mai, son audacieuse prophétie étant devenue réalité. Mieux, aujourd’hui, le carnet de commandes d’ATR porte sur plus de 200 exemplaires, dont 157 vendus en 2011. Au fil des temps, la concurrence s’est délitée, seul subsiste un rival canadien produit à Toronto par Bombardier et la «jetmania» qui a sévi avant la folle envolée du prix du pétrole et avait failli avoir raison des «avions à hélices».
Il en va à présent tout autrement. L’ATR 72, très court-courrier par vocation, affiche une consommation de carburant grosso modo inférieure de moitié à celles de jets de capacité similaire, c’est-à-dire de 66 à 70 places. Les passagers se sont d’autant mieux habitués à cette silhouette faussement rétro que le niveau de confort a fortement progressé grâce à l’élimination des vibrations et la diminution du niveau sonore en cabine.
Dans ces conditions, pragmatique, et sans se laisser aller à une quelconque euphorie, Filippo Bagnato, directeur général, ATR, affiche une belle confiance dans l’avenir. A court terme, son principal souci est de réussir une forte montée en cadence de la production. A plus long terme, compte tenu de la demande évolutive du marché, il espère que ses deux actionnaires donneront le feu vert au développement d’un appareil de capacité accrue, c’est-à-dire à 90 places. Le dossier est apparemment prêt et convaincant mais il s’agit de savoir si le bureau d’études d’Airbus à Toulouse est en mesure d’accepter cette charge de travail supplémentaire. D’autant que la pénurie d’ingénieurs se fait cruellement sentir dans l’industrie aéronautique.
Les propos de circonstance ont mis en valeur –ce qui est rare- la brillante réussite d’ATR. On retiendra, parmi de nombreux autres, un commentaire de Bernard Keller, maire de Blagnac et vice-président de Toulouse Métropole : il a non seulement chaleureusement félicité les artisans de ce succès mais il a aussi noté ce que nombre d’observateurs l’évoquent rarement, sans doute parce qu’il s’agit «d’une réussite parfois occultée par la notoriété d’Airbus».
Pierre Sparaco-AeroMorning