[Feuilleton] "Le Retour d'Arkadina" de Liliane Giraudon, 1/13

Par Florence Trocmé

Poezibao entreprend aujourd’hui la publication d’un nouveau feuilleton, Le Retour d’Arkadina, une pièce de Liliane Giraudon, en 13 épisodes.

Le Retour d’Arkadina 
(Proto-Théâtre) 
 
Avertissement : 
Le retour d’Arkadina est une version de « Acte Vegas » texte commandé l’année de la Russie par le metteur en scène Geoffrey Coppini. Il s’agissait d’écrire l’Acte V de « La mouette » de Tchekhov. Une suite, version 2010. Retrouver Macha, Nina, Arkadina et Trigorine dans les fumées d’une boite de nuit hors service qui s’appelait Le Vegas. La pièce a été créée à Marseille  dans le cadre d’ActOral 10 par Last Cie puis repris à Aix en Provence. 
Le texte  sera ici publié en feuilleton au rythme de 13 livraisons. 
 
 
 
Levée de rideau 
Le striptease d’une aveugle 
 
PROLOGUE (voix avec bande son bruits d’eau type piscine, c’est du moins ce que j’entends mais il s’agit de la boite de nuit). La voix (récitant ? voix off ?)  décrit, rappelle.  
Tente de situer ou plutôt de raccorder. 
 
« Dans le cabaret il y a un bassin avec un phoque. 
Les clients lui donnent des morceaux de poisson tranché qu’ils achètent et lui lancent. 
Ils l’appellent Anton. 
Il y a un bruit d’eau assez étrange. 
On dirait un bocal. 
On est dans un bocal. 
Il n’est plus question du lac. Vous vous souvenez, ce lac. Ce lac terrible. 
Celui-là auprès duquel un demi-vieux au nom allemand (Dorn en allemand, c’est une épine non ?)  s’écriait : « Comme ils sont tous malheureux. Comme ils sont fous. Que d’amour… ! » 
Mais ça c’était la version Duras. Parce qu’à la fin de l’acte I, li-tté-ra-le-ment, ça donnait plutôt : « Comme ils sont tous nerveux ! Comme ils sont tous nerveux ! » (2 fois) 
« Et que d’amour ! Ô lac enchanteur…etc… »  
Adamov restait bien plus près du texte. 
 
Maintenant, les jeux sont faits, rien ne va plus… 
Il y a longtemps qu’à Yalta, Anton ne se détourne plus pour cracher du sang. Il se contente de happer le poisson qu’on lui jette. 
Arthur ne hante plus les bars de nuit et Marguerite a définitivement ôté toutes ses bagues. 
Nous avons pris pied dans un nouveau siècle où comme le résumera judicieusement un commentateur 
« Les optimistes pensent que tout est foutu et qu’on finira par manger de la merde, les pessimistes pensent qu’il n’y en aura pas pour tout le monde. » 
 
 
 
Alias Trigorine :  
Tout ce noir. Sur vous. Et ce phoque. 
 
Alias Macha : 
C’est le deuil. Le deuil de nos vies. Nous ne sommes pas heureux. 
Même si hier… Cette Nuit… Une telle fête… Si grande.  
Immense on pourrait dire… 
Les morts sont plus vivants que nous. 
Ils sont morts parce que leurs vies, ils ne les ont jamais laissé tiédir. 
Moi je suis toujours vivante parce que je fais partie des tièdes. 
Le club des tièdes. Blanche et tiède. Voilà ce que je suis. 
L’amour, j’ai tout fait pour l’arracher de mon cœur.  
Et me voilà ici. 
Mon cœur radiateur. 
Thermostat. 
Tout se régule. 
Je peux même boire sans être ivre. 
 
Alias Nina (légèrement saoule) 
Ne pas confondre « Sambre et Meuse » et « Sombre Conne ». 
Je suis défoncée mais pas décomposée. 
La nuit ne m’a pas semblé longue.
À moi, les nuits dans ces lieux ne me semblent jamais longues. 
Le numéro de la fille nue et qui portait une robe cousue dans des steaks, c’était très beau. 
Comme celui de la stripteaseuse aveugle. (Elle rit
Et quand le petit verrat a quitté sa piste. Le bordel qu’il a mis… 
Tous les ballons éclatés, les lampes explosées…  
Au théâtre ce genre de chose n’arrive jamais. Ou alors, si… 
Non, on ne peut pas imaginer ça au théâtre. 
Pas plus celui d’hier que celui d’aujourd’hui. 
(un temps) 
Quel effet ça fait un mort ? 
Et puis deux. 
On ne sait pas quand ça arrive. 
On apprend la chose. 
On ne comprend pas. 
C’est abstrait. 
C’est après que le vide s’installe.
Vivant, je refusais de le voir. Je lui interdisais… 
Maintenant il n’est plus là. Je ne peux plus le fuir ni rien lui interdire. 
Son cinéma il est terminé.  
Comme ses improvisations soi-disant idiotes et tout ce cirque  
autour de lui…  
Lui et sa pseudo mère. Sa terrible mère.  
Ils me sont rentrés dans les os.
Et le panier de prunes très sucrées il est passé où ? 
Et elle … 
Maintenant elle se prend pour un radiateur. Cette conne. 
 
[épisode 2 lundi 7 mai 2012]