Changer de vie a un prix !
Chaque nouvel album de “Criminal” peut se lire indépendamment des autres, construisant au fil des tomes une saga incontournable. Si cette série s’inscrit comme l’une des références en matière de polar noir, le talent d’Ed Brubaker n’y est sans doute pas pour rien. Grand habitué du monde du crime (Gotham central, Sleeper), déjà couronné deux fois aux Eisner Awards à titre personnel (Best Writer en 2007 et 2008) et une fois pour cette série (en 2007), il pilote cette saga avec grande maestria.
Contrairement aux tomes précédents, le scénariste n’installe plus son récit dans les bas-fonds d’une grande ville américaine, où chacun passe son temps à flirter avec les règles du Milieu, souvent du mauvais côté de la loi, mais invite le lecteur à découvrir la sympathique petite ville de Brookview. Même le personnage principal ne semble pas avoir le profil de l’emploi pour pouvoir venir jouer un rôle principal au sein de cette saga sombre et pessimiste. Riley Richards est non seulement riche, mais il a en plus une femme canon. Heureusement, les apparences sont trompeuses car il a contracté quelques dettes de jeu, son beau-père est un véritable trou du cul et sa femme le trompe avec un type qu’il ne supporte pas, originaire de Brookview, sa ville natale. Alors, quand il revient à Brookview pour l’enterrement de son père, qu’il renoue des liens avec son meilleur pote d’antan et avec une amie d’enfance, Riley a subitement envie de démarrer une nouvelle vie… mais changer de vie a évidemment un prix !
Ed Brubaker nous livre à nouveau un classique du genre, parfaitement huilé et prenant de bout en bout. Le travail effectué sur le développement psychologique des personnages est une nouvelle fois phénoménal. Il y a d’abord ces flash-backs qui permettent de découvrir son passé et ses relations affectives avec les autres protagonistes, mais il y a également cette narration en voix-off qui scrute dans les pensées les plus sombres du héros et lui procure énormément de profondeur.
Visuellement, Sean Philips (“Sept” Psychopathes, Sleeper) nous réserve également une belle surprise. On retrouve évidemment son dessin réaliste, à l’encrage solide, mis en valeur par un jeu d’ombres et une colorisation qui contribuent à faire ressortir toute la noirceur du récit et des personnages. Mais lors des flash-backs, il propose également un graphisme qui rend hommage aux Archie Comics. Ce style enfantin qui semble destiné à un public plus jeune permet de séparer les pensées actuelles du personnage principal de ses souvenirs. Un exercice de style qui s’avère particulièrement efficace.