Cher François,
tu ne me connais pas, je suis un inconnu. Un français comme toi. Un chrétien comme toi. Un enfant de Schuman, De Gasperi et Adenauer comme toi.
Je t'ai toujours bien aimé. Sans excès, je l'avoue, mais avec un certain respect. Tu me semblais fonder ta pensée et ton action sur des principes humanistes forts et il t'es arrivé de dire des choses assez courageuses, notamment sur la crise financière. Je ne votais pas pour toi mais je t'appréciais.
Quand tu as créé le Modem, j'ai été un peu perplexe mais ça ne m'a pas vraiment choqué. J'aimais bien l'UDF. Celle de Raymond Barre. Je pense néanmoins que tu as fait une erreur en 2007. Si tu avais appelé à voter pour Nicolas Sarkozy, tu aurais pu influencer positivement son action, voire devenir un nouveau Raymond, qui n'a jamais renié la droite. Tu aurais même pu être un fin tacticien et appeler à faire largement battre Ségolène Royal tout en affirmant ton désaccord avec Nicolas Sarkozy. En effet une Ségolène à 42% aurait fait exploser le PS et t'aurait sans doute permis de récupérer le centre-gauche et devenir une sorte de Parti Démocrate, opposition officielle et renouvelée. Mais ton mutisme ou tes propos ambigus laissant entendre que tu voterais à gauche t'ont rendu inutile.
Quand vint 2012, je me suis dit que tu avais compris et que tu ne referais pas la même erreur. Mais j'ai rapidement senti que tu n'arriverais pas à créer une dynamique suffisante te permettant d'atteindre le second tour. Il fallait que tu bénéficiasses d'un nouvel "appel des 43" à l'image de celui de ces 43 parlementaires qui en 1974 lâchèrent Chaban-Delmas pour Giscard. C'était impossible. Impossible que tu réussisses à débaucher des parlementaires UMP. Cela aurait pourtant été un moment historique.
Comme toi, j'ai été énervé par Nicolas Sarkozy. Choqué même parfois. Je ne veux pas y revenir, car mon blog est plein de ces critiques mais aussi de quelques louanges. Néanmoins ta nouvelle posture m'agaçait également. Ton attitude hautaine et une certaine absence de courage. Je sais que mes mots sont durs mais je crois vraiment que tu manques de courage. Tu as manqué de courage quand tu étais ministre; tu as manqué de courage (ou de vision) en 2007; et tu as également manqué de courage quand tu as décidé de ne plus chercher à défendre des valeurs auxquelles tu croyais profondément autrefois comme la vie, la bioéthique ou le mariage. Et puis, tu m'ennuies avec ton laïcisme d'un autre temps. Je respecte ton choix personnel de dissocier ta vie spirituelle de ta vie publique, je ne suis pas étonné qu'un homme de ta génération refuse de lier la foi et la raison, mais je ne le comprends pas.
Finalement, le 22 avril 2012, tu as fait un mauvais score. Un très mauvais score. Tu espérais pouvoir peser sur le second tour et peut-être devenir Premier Ministre (je le suppute en tout cas, car je ne connais pas tes ambitions personnelles), mais quoi qu'il en fût, tu n'étais pas en mesure de postuler. Ni à droite ni à gauche. Restait malgré tout cette interrogation : pour qui allais-tu voter? Tu nous avais dit que tu te prononcerais et j'attendais ce moment. Tu n'avais plus rien à perdre ni rien à gagner. Je savais bien-sûr que tu détestais Nicolas Sarkozy et, je t'avoue, j'anticipais ton discours. Mais j'espérais au fond de moi que tu ferais enfin le choix intime, personnel, spirituel de défendre des valeurs que tes convictions ne pouvaient consciemment abandonner. Tu connais le programme de François Hollande sur la famille, l'éducation et la vie, et je sais que tu ne le cautionnes pas dans son intégralité. Tu y fait quelques incursions tactiques ou malheureuses dans ton programme et dans tes interviews mais tu n'es sûrement pas relativiste. Tu as lu, tu as étudié, tu as prié. Tu t'es peut-être même endormi une nuit, épuisé, sur ces merveilleuses oeuvres de Saint Thomas d'Aquin qui exige sans cesse de l'homme politique qu'il s'appuie sur la morale pour orienter son action vers le bien commun et atteindre le bonheur naturel.
A côté de ces principes fondamentaux, tu avais en outre mis en avant le rétablissement économique et la moralisation de la vie publique. Dans ton intervention, tu contredis pourtant ces deux points. En reconnaissant que le programme économique de François Hollande est mauvais, en soupçonnant que lui-même ne le respectera pas, tu banalises ainsi le mensonge. Ce mensonge que Saint Augustin a si bien défini. Ce mensonge de l'homme politique qui est prêt à toutes promesses, à toutes les concessions aux lobbys, à toutes les trahisons aussi. Car tu sais comme moi que ton nouveau poulain n'est pas un saint.
Mon cher François, je suis déçu. Cette décision est très certainement une épreuve pour toi mais nous avons toujours le choix. Tu promeus quelqu'un qui a une conception de la création du monde à l'opposé de la tienne; tu soutiens des décisions qui risquent d'aller à l'encontre de la dignité humaine et que critique, pour une fois, la quasi totalité de l'Eglise à laquelle tu appartiens; tu adoubes le mensonge politicien et cynique; tu avalises une alliance vert-rouge avec des personnes comme Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly qui ont proclamé des choses scandaleuses et extrêmement violentes non seulement à l'égard de Nicolas Sarkozy mais même à l'égard des riches, des catholiques, des prisonniers cubains. Violences verbales que ton candidat n'a pas encore eu le courage et l'honnêteté de réprimander vertemment.
François, je comprends ta gêne. Tu as peur. Tu as peur que le Front National n'influence la politique future de Nicolas Sarkozy. Tu as peur que la France se divise entre les pauvres et les riches, les gaulois et les immigrés, les travailleurs et les profiteurs. Ne perçois-tu pas qu'il y a également un discours de division chez le "rassembleur"? as-tu lu ou entendu ses propos sur l'école privée, sur les "riches", sur les "curés"? Et enfin, c'était à toi de veiller. A toi d'avoir le courage de veiller à ce que ces dérives n'arrivent jamais. A toi cette mission de protéger le faible. "N'ayez pas peur", nous avait dit Jean-Paul II en 1978, année de ma naissance. Citant Sainte Catherine de Sienne, ce pape que tu admirais nous avait même conseillés un peu plus tard en 2000 d'être ce que nous devions être pour mettre le feu au monde. Sois celui-là, François. N'aie pas peur. Bats-toi. Brûle.
Dans les situations difficiles, notre foi commune nous demande du courage. Benoit XVI que tu lis peut-être parfois parle avec une croyance beaucoup plus accomplie que la mienne de martyre. Nous devons être des martyrs pour défendre ce en quoi nous croyons. Tu fais trop de concessions, François. Beaucoup trop. Tellement que je ne sais plus en quoi tu crois. Oh, cela fait longtemps que tu m'étonnes mais aujourd'hui, soit tu t'es dévoilé, soit tu t'es trahi. Tu te trompes de combat. Les batailles faciles ne sont pas glorieuses. Tu cites De Gaulle mais ne crois-tu pas, qu'après avoir le programme de ton ami corrézien, le général qui croyait profondément à la Doctrine Sociale de l'Eglise serait debout au milieu d'une place en train d'haranguer la foule? Tu combats une personne, bats-toi pour des idées.
François, je ne sais pas ce qu'il se passera dimanche. Je ne sais pas non plus ce que tu deviendras dans les semaines qui vont suivre ni aux élections de juin. Mais j'espère encore une chose : quand en juin, en juillet ou les mois suivants, il faudra que nous nous mobilisions tous pour défendre la vie, la famille, l'éducation et le bien commun, j'espère vraiment que tu auras le courage des grands hommes que tu seras au premier rang avec une grosse pancarte.