Admettez-le, vous manquez de lectures abordant la question des présidentielles, en ce moment, pas vrai ? Et pourtant c'est bien et bien ce qui vous attend aujourd'hui dans ces colonnes. Mais bien-sûr il va avant tout y être question de télévision, alors attendez un peu avant de me haïr.
Alors qu'hier était diffusé le débat entre les deux candidats du second tour, et que je l'ai copieusement ignoré, j'ai réalisé que c'était la première campagne des présidentielles pendant laquelle je ne regardais pas Les Guignols de l'Info. La dernière fois que ça s'est produit, c'était en 1995.
Sauf qu'à l'époque les choses étaient bien différentes : je vivais chez mes parents, lesquels, à 20h pile, étaient devant le 20h de TFHein et certainement pas devant Canal+ que de toute façon on ne regardait JAMAIS. Le journal de 20h était pour mes parents ce que la messe de minuit est pour les Catholiques pratiquants à Noël, à la seule différence qu'ils n'y trainent leur marmaille de force qu'une fois l'an. Moi j'y ai eu droit quotidiennemen jusqu'à 15/16 ans. Ironiquement c'est quand j'ai été capable de prendre du recul avec les images que j'ai réussi à obtenir de ne plus regarder ce satané journal ; par contre la guerre du Golfe, j'avais 9 ans et j'étais aux premières loges tous les soirs, ça pas de problème.
L'un de mes actes de transgression suprême a été, une fois au lycée, de regarder Invasion Planète Terre le midi, en cachette, pour tout vous dire. Ce n'est pas que la chaîne était interdite, c'est qu'elle avait été rayée de notre conscient aussi sûrement que si mes parents avaient été équipés comme les Men In Black. C'était totalement inconcevable de regarder cette chaîne et mes parents ont fait, en gros, comme si on ne le recevait pas, même pas en clair. C'est vous dire à quel point le fameux "esprit Canal", pendant longtemps, m'était totalement étranger. Et quand j'ai eu pour la première fois une télé dans ma chambre, ma soeur et moi échappions au 20h mais pour aller nous mettre... devant le sitcom de 20h de M6. Je crois que quelques mois avant que je ne me tire de là, on avait commencé à vaguement tenter les Guignols, mais si leur show trainait en longueur, on zappait parce que l'épisode d'Une Nounou d'Enfer gardait la priorité. Vous ne vous rendez pas compte de ce que c'était : l'année où j'ai passé mon bac, les épisodes d'Une Nounou d'Enfer étaient inédits ; je sais, c'est un concept difficile à saisir de nos jours.
Ce n'est que quand j'ai déclaré mon indépendance, pendant l'automne 2000, et que j'ai emménagé dans mon royal studio de 7m² avec ma propre télé, que j'ai découvert Canal+ et notamment Les Guignols de l'Info. J'étais donc totalement habituée à leur présence dans mon "salon" quand sont arrivées les historiques élections présidentielles de 2002, un an et demi plus tard. Les Guignols étaient à peu près mon seul contact régulier avec le monde politique pour lequel j'avais conservé une certaine aversion depuis la fameuse histoire du 20h obligatoire, puisque je ne lisais aucun journal, n'en regardait certainement pas à la télé non plus, et pour finir je n'avais dans mon entourage aucun ami politisé qui mette ce sujet sur le tapis ne serait-ce qu'une fois de temps en temps.
Outre les évènements du 21 avril eux-mêmes, les Guignols ont donc participé à l'éveil de ma conscience politique et sociale. Je n'étais pas toujours d'accord avec eux, mais j'appréciais leur irrévérence qui changeait tellement des autres façons de couvrir la politique.
Entre 2002 et 2007, s'est opérée une balance dans ma consommation de l'information politique à la télévision, comme si j'avais pris mon élan et que j'avais quitté le nid. Je regardais encore cycliquement les Guignols quand je le pouvais, mais j'ai aussi commencé à regarder le journal (plutôt de France 2) mais surtout des débats télévisés, l'après-midi ou le soir, parce que les Guignols ne suffisaient tout simplement plus à me faire un avis. C'est la période pendant laquelle j'étais au chômage et où mes disponibilités étaient beaucoup plus larges. J'avais souvent des débats en fond sonore pendant que je travaillais sur SeriesLive ou Teruki Paradise, pas forcément sur la politique à proprement parler mais sur différentes problématiques sociales, et C dans l'air était devenue la seule émission que je regardais absolument chaque jour lorsque je n'avais pas un CDD. C'était le moment de la journée où je me demandais ce que je pensais du sujet du jour et, même quand ce n'était pas la première fois que je me faisais un avis dessus, c'était bien souvent la première fois que je lui accordais autant de réflexion.
En 2007, mon homme de l'époque et moi étions tous les deux rivés devant chacun des débats et émissions consacrés aux présidentielles. Cela incluait, naturellement, Les Guignols de l'Info. Si on avait eu plus d'argent on se serait certainement déplacés à des meetings, mais comme ça n'était pas le cas, on se nourrissait de tout ce que la télé voulait bien nous distiller sur "notre" candidat, et d'ailleurs sur les autres aussi. Notre opinion était faite mais on était dans une voracité qui, je crois, témoignait assez bien du choc que nous avions connu lorsqu'en 2002, pour les toutes premières présidentielles pendant lesquelles nous avions voté, on avait assisté aux premières loges à un véritable séisme ; le "traumatisme" était certainement le plus présent parmi ceux de notre âge qui avaient voté sans grande conscience politique en 2002, parce que c'était "la première fois" et pas par conviction, avant de réaliser qu'il fallait peut-être prendre la politique plus au sérieux. Les Guignols, encore une fois, faisaient partie du kit de base des élections.
Mais pas cette fois. Et le plus ironique dans l'histoire, c'est que jamais je n'ai été aussi concernée par la politique dans tant d'aspects de ma vie, à commencer par le volet professionnel. La presse écrite est passée par là (je lis la presse papier en moyenne un jour sur deux). Et évidemment, internet s'est imposé : désormais je surveille les titres de quatre journaux en ligne français, minimum deux fois par jour, tous les jours, faisant de surcroît mon marché dans la corne d'abondance qu'est Twitter (rien ne remplacera jamais la richesse de ce réseau social à mes yeux), et avec quelques blogs comme celui de Maitre Eolas en complément.
Les Guignols de l'Info ? Ce n'est même plus concevable. Et d'ailleurs je n'ai même plus la télé ! J'ai juste adsltv, sur laquelle Canal+, même en clair, semble indisponible.
Je me rappelle des nombreux débats autour des Guignols : étaient-ils prescripteurs ? Influençaient-ils négativement l'image des politiciens auprès du grand public ? Etaient-ils partisans ?
Ces questions se posent-elles encore aujourd'hui, alors que le public-cible de nos marionnettes préférées colle parfaitement au profil des internautes les plus susceptibles d'avoir eux aussi fait la transition, pour tout ou partie, vers l'information [politique] via internet ? Je ne suis pas experte, ni en médias ni en politique, mais si mon parcours est partagé, alors les Guignols seront totalement obsolètes aux prochaines présidentielles, à ce rythme.
Cette année, je n'ai donc pas regardé une fois Les Guignols de l'Info. Leur regard acerbe sur le monde de la politique m'aurait peut-être parfois fait plus de bien que je ne le crois, mais les faits sont là.
Ah, si. Il y a quelques semaines, via Twitter, j'ai vu passer un lien pour l'une de leurs videos se rapportant à la campagne. Elle ne m'a fait ni chaud ni froid. Elle n'était pas mauvaise. Mais elle ne m'a fait réfléchir à rien, et elle n'était même pas hilarante.
Je crois que je suis devenue une grande personne...