Très schématiquement, Michel Serres compare, à raison, notre époque actuelle, marquée par la révolution induite par Internet, à celles qui ont façonné les grands changements de l’humanité: invention de l’écriture, imprimerie. Les changements sont trop flagrants pour être tus: la langue que nous utilisons au quotidien, notre durée de vie, nos loisirs, tout nous distingue de nos grands-parents.
Mais il va beaucoup plus loin: pour lui, l’organisation de la société actuelle – du système éducatif aux appareils politiques – s’avère de moins en moins compatible avec les changements induits par cette révolution.
Michel Serres nous en donne plusieurs exemples. Le savoir n’a plus la même forme qu’auparavant. Nul besoin d’une tête bien pleine, un moteur de recherche et une encyclopédie en ligne suffise pour retrouver formules chimiques, grandes dates, explications en tous genres. Les méthodes d’enseignement doivent, selon lui, s’adapter à cette nouvelle donne.
De la même manière, l’organisation pyramidale, hiérarchique, qui a prévalu depuis l’antiquité, voit son efficacité s’essouffler. Pour Michel Serres, une sorte de joyeux bordel suffit à faire avancer le navire. La collaboration désorganisée, la sérendipité, suffiraient à faire progresser nos sociétés.
C’est audacieux. Mais j’y adhère peu. Ce que Michel Serres expose me semble être un bien rapide raccourci. Si l’explosion des contenus et la diversité des sources de savoir accessibles ne fait que croître, cela ne suffit pas pour réellement faire avancer la machine. La spécialisation, l’organisation, me semblent encore nécessaire, aussi bien pour construire des routes, des iPad ou des avions.
En fait, seul un point de l’exposé de Michel Serres m’a séduit: l’apparition d’un cinquième pouvoir, après m’exécutif, le législatif, le judiciaire et les médias: celui des données. La mode du « Big Data » n’en est qu’un avatar: la course au contrôle des données correspondant bien à une course au pouvoir, et c’est celle que mènent, entre autres, des entreprises comme Google, SalesForce ou Facebook.
Petite Poucette finira-t-elle par se perdre dans les nuages?