Après avoir dénoncé le fiasco de la gare des Mines victime de la mégalomanie du maire de Paris, escamoteur inefficace du périph' et dilapidateur de fonds publics, Jacques Gauthier nous invite à nous diriger plein sud pour visiter un autre échec de Delanoë dans le 18ème arrondissement, le site de Chapelle Charbon, plus cendre que braise urbanistique.
Le cliché ci-dessus représente la façade sud de l'entrepôt Ney cerné d'une épaisse brousse poussée depuis des lustres et dont la hauteur frôle celle des caténaires.
Sur les 21 voies de cette ancienne gare charbonnière, seules 2 vivotent encore avec le passage de temps en temps de trains de fret ou de machines haut-le-pied qui empruntent le raccordement Evangile.
Bien que cette gare soit totalement enclavée, la SNCF rêvait follement d'y installer un grand pôle logistique où trains et camions feraient quais communs et échangeraient leurs marchandises. Elle envisageait même la réalisation d'un trottoir roulant qui, à travers l'entrepôt Ney, permettrait de remplir le tram-fret des maréchaux - le T3 Green Cargo - directement depuis les wagons du pôle logistique ALUME ( Aire Logistique Urbaine pour Marchandises Equitables ). Tout cela était du plus parfait fumeux.
RFF, propriétaire des 21 voies, avait une approche plus réaliste du sujet : en utiliser 2 pour faire rouler les navettes de la future liaison ferrée directe entre Paris et Roissy CDG, le CDG Express.
Las ! C'était sans compter l'hostilité du maire de Paris et du maire du 18ème arrondissement qui ont fait capoter ce projet d'intérêt national car, s'ils acceptent bien des trains de fret nocturnes et bruyants sur les ponts-rails de La Chapelle, ils ne peuvent tolérer la circulation douce de navettes qui, disent-ils sans le démontrer le moins du monde, pourriraient la vie des habitants puisque l'entrée et la sortie de la gare Chapelle-Charbon passe par les deux ponts-rails du raccordement Evangile. Les voilà donc à s'accrocher aux fantasmes vieillis de la SNCF !
C'est le pont-rail sud que montre le second cliché ci-dessus, celui qui donne accès à Chapelle Charbon par dessus le boulevard Ney.
Or, que voyez-vous sous le pont ? Les voies du T3 où circulerait, dans les délires municipaux et dans quelques années, le T3 Green Cargo pour décharger aux différentes portes de la capitale ses marchandises venues des cinq continents arrivées par trains complets depuis les ports de Rouen et du Havre jusqu'à Chapelle Charbon.
La porte de La Chapelle, la plus proche de l'ALUME, deviendrait donc, dans les rêves de type delanoesque, un nouveau carreau des Halles où, en pleine nuit, une nuée de débardeurs et de coltineurs s'affairera à trier les marchandises suivant leurs destinations, le riz cantonais pour la porte de Choisy, des épinards pour la porte de France qui en a sacrément besoin car, bien que neuve, elle manque totalement de tonus, débouche sur le vide et n'a aucune suite en banlieue, des betteraves à Baron Le Roy pour justifier la nature de cette station du T3 au milieu de nulle part, perdue dans les friches de Bercy-Charenton, les épices porte de Montempoivre, les pêches porte de Montreuil, la marée porte des Poissonniers, des salades ou des navets ailleurs, etc... en fonction des commandes passées par les commerçants riverains du T3 Green Cargo.
Pour la porte de Clignancourt, les produits phares seront sans doute les patates douces, la banane plantin ou le manioc. Des livreurs aux mollets puissants, debout sur les pédales de leurs Velib' Cargo, fonceront jusqu'à Château Rouge pour être les premiers à fournir le marché local. Le carreau de La Chapelle - en anglais : World Chapel Market ! - avec sa joyeuse animation nocturne, sa convivialité, deviendra un must touristique inscrit dans les guides des tour opérateurs et, qui sait, sera immortalisé par un nouveau Doisneau.
Quittons maintenant la fiction municipale et retombons dans la réalité pour constater que Delanoë, englué dans les élucubrations constructives des architectes Dusapin & Leclercq, gourous de l'aménagement de Paris Nord-Est, a été incapable jusqu'à ce jour de tracer une perspective claire, réaliste et économiquement solide de l'avenir de Chapelle Charbon. Le bilan est désastreux : des hectares de friche ferroviaire gelés, des projets de logement ajournés à perpète alors que le même Delanoë déclarait, présentant ses voeux aux Parisiens le 5 janvier 2012, que le logement serait sa priorité absolue.
Entre les 500 logements virtuels du centre bus Croix Nivert suspendu à un déménagement aléatoire de la RATP, les 1.500 de la gare des Mines subordonnés à la construction d'une dalle improbable sur le périph' et les 2.700 de Chapelle Charbon neutralisés parce que le maire de Paris ne veut pas voir rouler le CDG Express à l'air libre, on demeure perplexe devant tant d'aveuglement .
Peut-être serait-il opportun de confier à l'Etat le pilotage de ces dossiers pour mettre un terme à l'immobilisme qui les mine ?