Le gazouillis des oiseaux me fait espérer des temps meilleurs. Je pressens que l'histoire va me contredire, mais on n'est jamais trop confiant. Ce matin, on est au mois de mai. Je respire tranquillement. Je contemple mon paysage. Je ne fais pas de mal à une mouche. Les voyageurs également sereins savourent le trajet. Le silence est entre-coupé de chuchotements furtifs, de petits rires écoliers, de nez qui se mouchent, de froissements de vestes. Après chaque arrêt, c'est un nouveau départ. Hier soir, les deux rivaux se sont bien bagarrés. Ça fait longtemps que je n'ai pas été au cinéma. Le printemps est très arrosé cette année. Le public en redemande.
Je sais que je ne vais nulle part. Je sais qu'il ne faut pas me faire d'illusions. Qu'il ne faut pas construire des châteaux en Espagne. Peut-être que je me trompe. Peut-être que l'avenir est un grand jardin radieux. Peut-être échapperai-je aux griffes lacérées de la bête féroce qui rôde. Peut-être. La beauté d'une femme. La beauté d'une fille. C'est à ne rien y comprendre. Là, par exemple, dans le bus, j'aperçois deux belles jeunes filles, belles l'une et l'autre, mais belles différemment. L'une est assise à côté d'une fenêtre, plongée dans la lecture d'un livre. L'autre est debout, a des oreillettes et regarde son IPhone. Où se trouve la poésie, où se trouve le mystère, où se trouve le soupir? Les joujoux électroniques ne m'offrent qu'un cadre restreint, un écran réducteur, une facilité d'emploi. Petit à petit, c'est la faculté même de penser, de raisonner, qui en subira les effets dévastateurs. Nous serons réduits à des éléments robotiques, nous ne serons que platitude et uniformisation, manipulables à loisir, nous fonctionnerons suivant l'émotion de l'instant, nous serons prêts pour de nouvelles guerres au service des puissants, nous nous ferons dévorer par la cruauté et la rapacité de quelques profiteurs, dictateurs, affabulateurs.
En guise de conclusion, je veux que vous notiez une ou deux choses. La terre tourne, et ceux qui aujourd'hui sont au-dessus demain seront au-dessous. Et ceux qui aujourd'hui sont chez eux, sûrs de leur droit, demain seront en quête de refuge.