Lilian Thuram, ancien footballeur, champion du monde en 1998, s'exprime sur sa vision du monde et de la présidentielle.
"Dans le cadre des activités de la Fondation Education contre le racisme que j'ai créée il y a maintenant quatre ans, je ne demande à personne s'il est de gauche, de droite, du centre ou d'ailleurs. Notre vocation est de contribuer, et d'abord pour nos enfants, à la construction d'une société plus fraternelle.
Alors que la campagne pour l'élection présidentielle atteint un paroxysme dans l'instrumentalisation des peurs, des haines et des divisions, je n'ai pas envie de me taire.
C'est aujourd'hui quelque chose d'essentiel qui est en cause : notre capacité à vivre ensemble, à assumer nos différences, à privilégier avant tout ce qui rassemble plutôt que ce qui sépare et divise.
C'est une construction politique particulièrement pernicieuse qui est en place depuis une dizaine d'années et plus encore depuis 2007. Elle semble être entrée aujourd'hui, dans cette campagne électorale, dans une course folle. Mais comment avons-nous pu ainsi régresser ?
Que s'est-il passé depuis cette belle nuit du 12 juillet 1998 où tant de Français ont fêté la victoire d'une France "black, blanc, beur" ? Nous savions bien, tous, combien cette expression masquait déjà de difficultés, d'incompréhensions. Pourtant, nous étions tous heureux de rêver ensemble à une France idéale.
Ne me dites pas que vous ne sentez pas monter les divisions, les clivages, les haines, les rejets, les exclusions. Tout mon engagement vise à les comprendre pour mieux les déconstruire et les combattre.
Historiquement, à chaque période de crise, c'est toujours le même mécanisme, qui veut que certains politiques réveillent des peurs en désignant des boucs émissaires, les étrangers, les immigrés : hier les Italiens, les Polonais, les Espagnols, les Portugais, les juifs de l'Est... aujourd'hui les Maliens, les Chinois, les musulmans...
Ce que je constate maintenant est bien le point culminant d'une lente dérive. Avant même le déluge d'amalgames au cours de cette campagne, et dans une sorte de conditionnement progressif, se sont succédé la création du ministère de l'immigration et de l'identité nationale, le discours de Dakar dévalorisant l'homme africain, celui de Grenoble stigmatisant les Roms, le prétendu débat sur l'identité nationale, et tant d'autres entorses aux valeurs républicaines.
Mais ce ne sont que des leurres que l'on présente aux Français pour les détourner des véritables luttes : contre la pauvreté, qui touche plus de dix millions de personnes dans notre pays, dont deux millions d'enfants, contre l'inégalité d'accès au travail, pour une éducation et des soins de qualité, pour une société plus juste.
Ne nous prépare-t-on pas tout simplement à accepter la précarité généralisée ?
Je retiens de ma carrière de footballeur que, lorsqu'un entraîneur a un bilan négatif, il est préférable de s'en séparer et d'en changer. A chaque fois que cette loi a été ignorée, les choses n'ont fait qu'empirer.
Le 6 mai, le choix se fera aussi entre la poursuite de ces dérives - la xénophobie, l'islamophobie, la haine des immigrés - et l'apaisement. Pour ma part, je voterai toujours en faveur de l'apaisement.
L'une des citations que je rappelle le plus souvent à mes enfants est d'Albert Einstein. Il dit ainsi : "Le monde est dangereux à vivre. Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. "
Dimanche, chacun votera en son âme et conscience mais nul ne pourra dire "je ne savais pas "."