Parce que sa troupe comporte des comédiens à la technique irréprochable, parce qu'il fait presque toujours appel à des metteurs en scène chargés d'une vision à la fois forte et accessible des oeuvres qu'ils portent sur le plateau, parce qu'aussi ses moyens s'avèrent conséquents et libèrent l'imaginaire de toute barrière, l'établissement public fait découvrir ou redécouvrir au mieux un répertoire classique et contemporain.
Aujourd'hui, le Théâtre Ephémère nous en apporte une preuve nouvelle avec "Une puce, épargnez-la" de l'américaine Naomi Wallace. Ce drame écrit en 1995 est un huis clos grinçant, mais également sensuel, aux accents poétiques, se déroulant à Londres, au XVIIème siècle, du temps de la Grande Peste. Si le cadre est historique, le propos se trouve ailleurs. Il s'agit en effet pour la dramaturge d'évoquer et explorer les rapports et conflits entre classes sociales de manière intemporelle, projetant action et personnages dans le passé afin de mieux éclairer le présent.
Deux bourgeois en fin de quarantaine (Catherine Sauval et Guillaume Gallienne), cloîtrés dans leur demeure, voient s'introduire chez eux un jeune marin (Félicien Juttner) et une fillette (Julie Sicard). Cet évènement contraint les quatre protagonistes à cohabiter longuement, ne pouvant échapper à une nouvelle mise en observation. Est-ce la promiscuité ou la mort rôdant autour des occupants des lieux qui sera cause de tous les possibles ? Quoi qu'il en soit, échanges, affrontements et luttes pour le pouvoir bouleverseront l'ordre établi et feront bouger les lignes du social et de l'intime, ici étonnament mêlés.
Sans être grande, la pièce, qui rentre donc au répertoire du Français, est d'excellente facture. Moderne, belle, efficace, surprenante, et sensée.
Le travail d'Anne-Laure Liégeois, à la mise en scène, est magnifique. Elle use d'un réalisme suffisamment fantasmé pour éviter toute lecture primaire du texte, des personnages ou des situations. Elle a par ailleurs opté pour une scénographie évolutive qui accompagne intelligemment l'intrigue ; les murs s'écartent à mesure que les uns se libèrent de leurs carcans, tandis que d'autres voient leur esprit rongé par de mortuaires corbeaux. Les images sont fortes.
La direction d'acteurs, enfin, est impeccable. Comme à son habitude, Guillaume Gallienne, en maître de maison passant de dominant à dominé, nous a bluffés par la maîtrise de son art, physiquement, vocalement et gestuellement. Catherine Sauval, qui joue l'épouse soumise et broyée, nous a profondément touchés. La fougue de Félicien Juttner ne cesse de nous emballer un peu plus à chaque production. La piquante fraîcheur de Julie Sicard fait merveilleusement mouche. Quant à Christian Godon, il met toute sa fantaisie au service du garde qu'il interprète.
Beau moment.
Allez-y !
Jusqu'au 12 juin.
Photo : D.R.