Je me suis déjà intéressé à cette nouvelle forme de presse qui sous forme de revues épaisses, à la mise en page soignée, réinventent le journalisme en restructurant les domaines d’investigation tout en rejetant l’actualité immédiate pour une prise de recul permettant l’analyse et le dialogue. En somme un phénomène à contre courant des flots d’informations issues des myriades sources technologiques, des traditionnelles dépêches des agences de presse, aux milliards de SMS et MMS échangés de par le monde, en passant par les multitudes billets des blogs et sites internet.
A l’époque, il s’agissait de XXI, de 6 MOIS, de TANGO et de FEUILLETON. Et heureusement, ces revues vivent toujours. Elles ont finalement un certain succès, à tel point que nombre d’éditeurs étrangers sont intéressés par des éditions de ces revues dans leur langue. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Brésil sont sur les rangs. Mais l’aventure continue en France et une kyrielle de nouvelles venues risque fort de redistribuer les cartes…
CRIMES ET CHÂTIMENTS
Son thème : le fait divers, traité de diverses façons mais ne faisant jamais appel au vulgaire, au voyeurisme, au sensationnel ni au sordide. "Le fait divers a une image vulgaire, grossière et je voulais sortir de ça. Parler de la société, comprendre comment un homme ou une femme peut commettre un délit. Le fait divers est une matière noble" explique Franck Hériot, le créateur de la revue avec Luc Jacob-Duvernet. Noble n’est sans doute par le terme approprié, sauf, ce qui est le cas, s’il est appliqué à la façon dont on le traite. La littérature y côtoie les arts graphiques et le journalisme d’investigation ou sociologique. L’œil y est pertinent et le discours éclairé et le champ si large qu’il permet la rencontre des flics, voyous, victimes, magistrats, avocats et matons. Tous les acteurs y sont représentés, y compris ces innocents qui subissent de plein fouet cette délinquance, les témoins, les enquêteurs. Tout le monde est susceptible de s’y irradier, comme ces femmes amoureuses de truands. Les femmes, qui d’ailleurs, sont au cœur de ce premier numéro dont j’attends avec impatience le prochain.Cela me donne l’occasion de parler d’une revue qui a déjà quelques mois d’existence.
ALIBI
On pourrait croire que « Crimes et Châtiments » roule sur la voie tracée par Alibi. Avec raison d’ailleurs. Mêmes domaines d’exploration –faits divers, procès d’assises, batailles juridiques-, avec une dimension sociologique moins marquée et des pages littéraires plus touffues, Alibi a surtout le mérite de l’antériorité, son premier numéro date de janvier 2011. Bizarrement le dernier numéro d’« Alibi » s’intéresse aux femmes tout comme « Crimes et Châtiments ». Fruit du hasard, ou riposte immédiate à un concurrent dangereux ? Allez savoir. Tout en étant dans leur domaine de prédilection, le suspens leur va bien... Quoi qu’il en soit, « Alibi » publie, à l’occasion de son cinquième numéro, une nouvelle inédite de la STAR du polar anglo-saxon, R.J. Ellory. Comme « produit » d’appel, difficile de faire mieux. Le reste du sommaire, une enquête sur les avocates pénalistes ou un reportage au 36 quai des orfèvres. Et des rencontres avec des auteurs de polars et réalisateurs de films de genre. Avec le souci d’aller au-delà des cercles anglo-saxons ou nordiques avec une exploration du genre en Iran ou au Congo.Pour finir, je me pose la question de savoir quels sont les rapports entre cette revue et « Alibis », l’alter-égo bien plus ancien que publient nos cousins québécois ?
Mais passons à autre chose.
SCHNOCK
Une petite revue (par le format) qui cherche à savoir s’il est possible ou non de tourner le dos au jeunisme qui nous entoure, sans devenir des vieux cons pour autant, en fouillant dans les cendres d’une culture qui fut populaire chez les soixante-huitards. Avoir choisi Jean-Pierre Marielle en tête d’affiche est d’ailleurs assez significatif. On s’y étonne aussi, en se rappelant que Bernard Kouchner fut de l’aventure de défunt « ACTUEL ». On prend plaisir à retrouver et écouter Chantal Montellier nous parler de la revue « AH!NANA ». On redécouvre de jubilatoires oublis, œuvres ou personnages, qui pourraient bien disparaître avec cette génération. Finalement, c’est bien une revue pour… les vieux cons, dont je suis. Et le pire est qu’elle est produite sous la houlette du chanteur Alister et de Laurence Remila (le rédacteur en chef adjoint de Technikart). Des jeunots en somme.Schnock, La Revue des Vieux de 27 à 87 ans, n°1, 176 pages, 14 euros.
CHARLES
Publié comme « Schnock » par La Tengo Edition, « Charles » imagine une 6eme république sous la Présidence d’Arnaud Viviant, journaliste à Libé, à Inrocks et aujourd’hui à Bibli-Obs. Son gouvernement, ni plus ni moins ses amis écrivains, qui en bons camarades, aiment polémiquer. François Bégaudeau est ministre de l’éducation ; Mathias Enard, ministre des affaires étrangères ; Antoine Buéno, ministre du budget ; Hélèna Villovitch, ministre de la fin (du nucléaire) et Frédéric Beigbeder ministre de la culture… On est dans l’utopie qui s’assume avec pas mal d’impertinence rafraichissante. Derrière un ton iconoclaste se cache un esprit pamphlétaire salutaire et une curiosité constructive. J’aime bien, malgré quelques pages auxquelles je n’ai guère accroché, à moins que leurs auteurs se la « jouent » et y abandonnent leur sincérité.WE DEMAIN
"We demain" la joue quant à elle, prospective. Elle se lance le défi de "guetter les transformations de la société" et "s'interroger sur le monde demain", selon François Siegel, co-fondateur de la revue avec son frère Jean-Dominique[1]. De la Science-fiction en somme, avec suffisamment de prospectives pour que les sciences prennent le pas sur la fiction malgré la présence d’une nouvelle d’une autre STAR du genre, Ray Bradbury.La revue est structurée en plusieurs chapitres explorant les voies qui s’offrent au monde de demain : déchiffrer, respirer, regarder, inventer, bouger, ralentir, savourer, partager, autant de « possibles » qu’il ne faut pas prendre à la légère. Et la revue s’attache à appliquer ses « recettes » avec une maquette originale et élégante qui offre un écrin incomparable aux textes, dessins, photographies et graphiques qu’elle accueille. Tous de très grande qualité. Tous à lire sans attendre. Surtout si vos préoccupations écologiques se bornent à écraser vos cigarettes dans un cendrier et vos préoccupations politiques à parler du port du voile devant un demi-pression au comptoir du coin. Pour François Siegel, "les politiques n'ont pas compris qu'on vit déjà dans le monde de demain". Je rajouterai, que les politiques ne sont pas les seuls. Les médias installés jouent la musique sur laquelle s’épuisent les hommes dans un marathon de danse qui les laisseront exsangues. Cette nouvelle revue a compris que la crise est "une vraie rupture" et qu’il faut au plus tôt imaginer devant "la fin d'un modèle de société" ce que sera le jardin de nos lendemains.
"We Demain" a été tiré à 30.000 exemplaires et est vendue 12 euros. Merci aux Editions du Cherche-Midi qui participent à l’aventure, mais grosse crainte qu’avec un tel prix, cette revue ne soit obligée de recourir à la publicité. Et, dans ce cas, est-ce bien compatible avec ces vœux de faire avancer le monde en bousculant l'ordre des choses ?
THE GOOD LIFE
Consummériste au possible. N’a sans doute pas compris grand chose si ce n’est que côté annonceurs, il sait où taper. Probablement le seul qui a compris que le large public ne se cultive plus mais consomme. Il en joue à fond, sous couvert d’art de vivre (mais de l’art, bernique !) rappelant à tout bout de champ le terme hybride. Tellement hybride d’ailleurs qu’il n’y a pas beaucoup d’âme. C’est sans doute voulu, car l’âme n’a que peu de choses à voir avec la possession et la mode. Tout ce que je déteste, ne serait-ce que sa complaisance mise en exergue par sa structure : good to know, good word, good trips, good comix, good toys, good vibrations. Que des anglicismes pour faire branché, geek. C’est pas cher, mais c’est trop cher payé. La seule chose qui s’en sort est la maquette, ma foi réussie.Beurk !
LE BELIEVER
Les éditions Incultes se sont lancées dans une aventure quelque peu risquée en proposant une version française du magazine anglais “The Believer ». Il ne s’agit certes pas d’une copie conforme. Mais tout ce qui y est publié provient du magazine d’outre-manche. Que des anglo-saxons. Ce qui n’est pas forcément négatif, d’autant que les signatures sont prestigieuses. Mais je doute que cela accroche bien, soit à l’esprit étroit qui ne jure que par le franco-français, soit, à contrario, à l’esprit classique du « gentil homme » qui ne jure que par une vision globale où Londres n’est qu’une ville comme Asunción, Tbilissi, Douchanbé ou Port Moresby. Soyons clairs, les véritables amateurs de la culture anglo-saxonne sont pour la plupart anglicistes et peuvent donc lire la revue originale de l’écrivain anglais Nick Hornby et des américains Dave Eggers et Vendela Vida. Car de toute façon, ne vaut-il pas mieux lire David Grossman, Bret Easton Ellis, Jonathan Franzen, Charles Burns, Chris Ware, Chuck Palahniuk et bien d’autres en version originale ?FRANCE CULTURE PAPIERS
Voilà un truc unique en son genre. De la radio au livre, de l’écoute à la lecture, du direct au recul, de l’éphémère au concret… le livre. France Culture Papiers se veut aller au-delà des ondes, en s’appuyant sur ses émissions pour parcourir plus en profondeur ou prolonger la visite et la rencontre de ce et ceux qu’elle diffuse. Les articles ont pour objet de retranscrire les émissions tout en les enrichissant et les illustrant. Bien entendu, il ne s’agit que d’une sélection ! Comment, de toute façon, se préoccuper, au sein d’un trimestriel, de milliers d’heures de diffusion radiophonique, de centaines d’interviews, de chroniques, de débats, de fictions. France culture, c’est plus de 2 000 heures d’antenne trimestrielles, plus d’une centaine d’émissions, et près de 3 500 invités ! France Culture Papiers reviendra tout de même sur plus d’une centaine d’entre elles. Et avec une certaine réussite pour ce premier numéro. Une maquette claire et aérée pour mieux mettre en valeur le haut niveau des textes. Des prolongements photographiques et graphiques structurant un organisation des articles sous les thèmes bien précis ; les transversales, les thématiques, d’hier à aujourd’hui. Des signatures prestigieuses et fascinantes, trop nombreuses pour être citées ! Le directeur de France Culture, Olivier Poivre d’Arvor, en parle ainsi « Quand vous écoutez attentivement France Culture, quand vous décidez (même de manière aléatoire) d’en fixer par écrit le sens, il y a de quoi faire une bibliothèque. France Culture Papiers c’est l’assurance de retrouver un univers de savoirs dans ce qu’il y a de plus riche, de plus éclectique, de plus inattendu. ». Une grande réussite, que le rédacteur en chef Jean-Michel Djian définit ainsi « À l’inverse d’une revue intellectuelle classique, France Culture Papiers n’impose pas une vision magistrale des sujets qu’elle traite. En choisissant de retranscrire des entretiens, des dialogues, des débats entre spécialistes et non-spécialistes, elle propose une approche libre et vivante du savoir. La présence de photos et d’illustrations, les notes d’informations sur les coulisses des émissions et les réactions d’auditeurs sont un véritable plus et participent à la richesse de la lecture ».
HOBO
Passons avec tout autre chose avec Hobo Magazine que vient de pondre le journal L'Equipe. Imaginé notamment par Jean-Denis Walter (également conseiller éditorial de Sport et Style du groupe l’Equipe), Hobo est un approfondissement de la ligne éditoriale qui préside au supplément magazine hebdomadaire L’Equipe-Mag que dirigea un temps Jean-Denis Walter. L’objectif ? Apporter un regard social et historique des apports et des effets du sport sur notre monde. Basé sur les reportages-photos de grande qualité et de grande originalité, Hobo pourrait bien réconcilier certains intellectuels hermétiques aux attraits des sports. Les textes – qui certes n’occupent pas l’essentiel de la revue - peuvent être qualifiés d’auteurs et Dieu sait que la qualité littéraire de certains journalistes de L’Equipe le mérite. La couverture du magazine l'annonce d’ailleurs : “Le sport au delà des clichés” Mais des clichés photographiques, alors là, oui, car l’image « vaut mille mots »,Hobos est un terme qui désigne les sans domicile fixe qui parcourent les Etats-Unis à la quête d’un travail, d’une pitance. S’agirait-il donc d’un hommage à ces travailleurs itinérants crève la faim ? On ne voit pas bien le rapport. « Hobo, c’est du vagabondage photographique », écrit Jean-Denis Walter dans son édito. Souhaitons-lui un peu plus de réussite ! Il en a les moyens si toutefois les prochains numéros sont du même niveau que les huit reportages qu’il présente aujourd’hui.
- AFGHANISTAN, LE SPORT SOUS LES BALLES, Kaboul, base avancée de Tora, de Franck Seguin, photographe à L’Équipe.
- · LES FASTES DU PALET Biélorussie, Minsk, par le photographe Julien Goldstein.
- · BELLES DE CONCOURS, États-Unis, le culturisme poussé à l’extrême, du photographe Martin Schoeller.
- FOOT OF AFRICA Nigeria, Afrique du Sud, Malawi, Zambie, Namibie, par Thomas Hoeffgen, Photojournaliste
- · UN CRU D'EXCEPTION France, Tarbes du photojournaliste Guillaume Herbaut.
- FIGHTING CHOLITAS Bolivie, La Paz, de Daniele Tamagni, photographe
- L'ENVOL DE L'ALBATROS France, Saint-Quentin en Yvelines Découverte de « L’albatros » le parcours le plus abouti de France qui accueillera la Ryder Cup en 2018. Par Pierre-Emmanuel Rastoin, photographe
- RIEN QUE DE L’AMOUR Allemagne, Berlin. Le FC Union, club de foot berlinois est depuis plus de 20 ans le rendez-vous des « ostalgiques ». Par Harald Auswald, co-fondateur en 1990 de l'agence photographique berlinoise OstKreuz
- · UNE PHOTO, UNE HISTOIRE Le baiser de Vancouver
- · UNE VIE EN IMAGES Sir Alex Ferguson, entraîneur de Manchester United.
Voir pour plus d’infos l’excellente présentation qu’en fait le journaliste du Monde Florent Bouteiller dans l’article qu’il publie sur son blog.
L’IMPOSSIBLE
Le titre fait-il référence au roman de Georges Bataille, à une ancienne revue consacrée à la littérature populaire, au tableau de Magritte ? Peu importe, ce qui compte est le nom du créateur de cette revue, Michel Butel. A savoir celui qui a inventé, il y a une vingtaine d’années, une nouvelle forme de revue dont peuvent se réclamer toutes celles présentées ici. Celui qui mettait « la presse à l’égal d’une œuvre » l’avait baptisé « L’autre journal ». Tout simplement. Aucun autre titre ne pouvait d’ailleurs à l’époque mieux convenir. Cette revue, je la possède toujours dans ma bibliothèque et il fréquent que je jette un œil sur l’un ou l’autre des numéros. J’ai longtemps regretté sa disparition comme j’ai attendu longtemps le retour de Michel Butel dans les kiosques. C’est chose faite. Enfin. Depuis plus d’une année qu’on l’attendait ! Et bien évidemment, Michel Butel nous surprend en imaginant une fois de plus quelque chose de nouveau, qui n’a bien entendu rien à voir avec les voisins de ce billet. Et s’il ressemble à un petit journal, ne vous y fiez pas, on ne le lit pas pour s’informer, mais par besoin, comme celui de rechercher la présence d’un ami.Et pour ceux qui n’ont jamais connu « l’autre journal », quelle chance, les Editions des Arènes (qui publient XXI et Six Mois) viennent d’en réaliser une anthologie L’Autre Journal 1984-1992. L’occasion de découvrir ce que pouvait être à cette époque une revue que Michel Butel voulait écrite « pour l’essentiel par des artistes et écrivains, en tout cas pas par des journalistes. ».
Pour terminer, je me demande bien ce que veut dire ce nombre important de nouvelles parutions en si peu de temps.
[1] Une sacrée reconversion pour ces anciens directeurs de VSD, qu’avait crée leur père !