Plutôt décevant pour l’électeur qui cherche à comprendre le programme des
deux candidats, ce débat a dû ravir les journalistes avec les nombreuses passes d’armes qui n’ont d’intérêt qu’en terme de communication politique mais certainement pas en terme d’intérêt du
pays. Cour de récréation. Qui va donc sonner la fin de la récré ?
Il est inutile d’écouter les commentaires à chaud des partisans puisque chaque camp pourra dire qu’il a
gagné. L’avenir proche dira si ce débat a eu ou pas une influence dans le vote du 6 mai 2012.
Mes premières impressions sont plutôt négatives : tout au long de ce long débat, la tension était
présente créant même un malaise, avec parfois une violence verbale qui traduisait assez bien la violence généralisée de cette campagne présidentielle depuis plusieurs mois.
Contrairement à certains commentateurs, j’ai trouvé ce débat assez misérable, pas du tout à la hauteur, dans
le registre de la cour de récréation assez pitoyable où sans arrêt les deux protagonistes se lançaient des petits scuds. Pourtant, il s’agissait d’aborder l’avenir de notre pays. Où sont De
Gaulle, Mitterrand… ?
Mon plus grand étonnement vient du comportement de François Hollande pas du tout posé, pas du tout calme, très mal à l’aise (surtout au début) et qui n’a cessé de
couper son rival tout au long de l’émission, à tel point que sa voix grave signifiait à la fois agressivité, arrogance et stress. Au contraire, Nicolas Sarkozy m’a semblé plus calme que prévu, même s’il réagissait au quart de tour. Donné perdant par les
sondages, il s’est retrouvé dans la position de son ancienne concurrente de 2007, Ségolène Royal, en
cherchant à provoquer son interlocuteur.
Mon étonnement, donc, c’est que François Hollande a choisi l’agressivité au lieu de rester sur une sorte de
piédestal d’imperator. Ses multiples interruptions rendaient les dialogues difficiles à suivre mais au moins, il a dû quitter l’écorce imitative de son mentor, François Mitterrand, et se découvrir plus vrai que nature devant les électeurs. Il est même allé imiter Jean-Paul II en suggérant de ne pas avoir peur de son élection.
Aucun des deux candidats n’a pu s’empêcher d’envoyer à l’autre les peaux de bananes qu’ils avaient savamment
préparées. En quelques sortes, ce duel a été le résumé de quatre mois de campagne plutôt déplorable, un condensé en quelques heures, sans doute épuisant pour les deux protagonistes.
Je livre ici quelques éléments du duel que j’ai retenus et quelques impressions personnelles.
21h00 : début du débat
Après une courte introduction, le dialogue est entré très vite dans le vif des enjeux économiques et
financiers.
Les attaques ont commencé à fuser dès le début du débat, François Hollande coupant son rival dans son
introduction. Il l’aura fait souvent et même dans la dernière minute de conclusion. Il m’a fait immédiatement penser à Laurent Fabius dans son débat avec Jacques Chirac le 27 octobre 1985 où ce dernier l’avait
traité de « roquet ».
Ce qui était étonnant, c’est que François Hollande coupait souvent à contretemps, et le seul moment où il
aurait dû répondre, s’insurger, c’était à la fin mais il a laissé filer sans rien dire, quand Nicolas Sarkozy lui a balancé cette petite phrase : « Vous être un petit calomniateur ! » (à 23h27).
Autres éléments récurrents dans ce débat : à de multiples reprises, les deux candidats se sont opposés sur des données statistiques et c’est
vraiment décevant qu’il n’y ait pas, sur le plateau même, un arbitre ayant accès à des sources documentaires neutres (INSEE, etc.) capable de donner les bons nombres car une discussion sur du
factuel n’a aucun intérêt.
De même, l’arrogance du candidat socialiste avec plusieurs questions assez peu courtoises a engendré un « Je ne suis pas votre élève ! » de la part de Nicolas Sarkozy.
La discussion a été émaillé de pas mal d’erreurs de la part des protagonistes et également de déclarations
bizarres qui n’ont même pas été relevées.
Dans son introduction, François Hollande a misé sur sa capacité de rassemblement, un point fort qu’il a
répété dans sa conclusion, malheureusement, son comportement agressif l’a discrédité dans cet avantage déterminant.
21h10, François Hollande a déclaré : « L’opposition a
gagné toutes les élections intermédiaires. » ce qui est faux (pas relevé par Nicolas Sarkozy). Le 7 juin 2009, le PS a été en déroute aux élections européennes (16%) et l’UMP a gagné
plus de la moitié des sièges qu’elle détenait déjà.
21h27, ce fut la bataille du déficit du commerce extérieur, 70 milliards d’euros en 2011. Nicolas Sarkozy a
relativisé en disant que dans ces 70 milliards d’euros, il y a 63 milliards qui provenaient du pétrole qui a augmenté de 36 milliards par rapport à 2010 et a rebondi sur le nucléaire en
fustigeant le programme de François Hollande qui casserait la filière nucléaire. Le nucléaire a été un sujet qui est revenu trois fois sur le tapis.
21h31, mesquinerie NS : en évoquant les IPAD que François Hollande a distribués aux collégiens de
Corrèze. Ma question, pas abordée, c’est qu’il existe une entreprise française qui vend une tablette électronique, pourquoi une collectivité publique achète-t-elle un produit américain alors
qu’il y a un concurrent français ?
21h36, on en était toujours au commerce extérieur avec Nicolas Sarkozy qui a prétendu que sous le gouvernement Jospin, il était en déficit (en 2001-2002).
Plus généralement, Nicolas Sarkozy s’est montré convaincant quand il a pointé du doigt une incohérence de raisonnement de François Hollande qui a
comparé le nombre de chômeurs de la France avec l’Allemagne mais qui a refusé les réformes que ce même
pays a réalisées en 2004 pour parvenir à ces bons résultats. Le Président sortant a remis les statistiques du chômage dans le contexte européen avec une aggravation de 18% en cinq ans, alors que
ce fut de 60% en Grande-Bretagne et plus de 100% en Espagne (le taux est de 24% !).
21h42, François Hollande a exposé enfin une partie de son programme : indexer le SMIC sur la croissance
(mais personne pour lui demander si en cas de récession, il faudrait alors abaisser le SMIC ?) et sur le forfait de base de consommation pour l’électricité et l’eau. Sur ce dernier sujet,
Nicolas Sarkozy n’a visiblement pas compris la proposition (il croyait que le prix dépendait des revenus) et a eu la mauvaise foi de demander comment cela se passerait pour les entreprises (alors
qu’elles ont déjà une tarification différente des particuliers).
Mesquinerie FH : c’est à cette occasion que François Hollande lui a proposé son programme et a glissé
malicieusement : « Je ne connais pas le vôtre ! » (pas relevé par l’intéressé).
Nicolas Sarkozy a sorti beaucoup de nombres durant cette émission, notamment sur le nombre d’heures supplémentaires, 180 millions, ce qui a coûté 1
milliard d’euros.
21h56, nouveau différent sur le déficit budgétaire : aggravation de 600 milliards d’euros en cinq ans pour François Hollande, seulement de 500
milliards pour Nicolas Sarkozy en indiquant que la plupart correspondaient au déficit antérieur et 200 milliards à la crise, selon la Cour des Comptes.
21h57, mesquinerie NS : en pointant des mauvaises statistiques, le candidat sortant a lâché : « Vous qui êtes tant éloigné des affaires… » tout en l’associant à de l’incompétence.
22h13, mesquinerie FH : en parlant des supposés cadeaux fiscaux, le candidat socialiste s’est avancé : « Ce sont vos proches… » et après demande de précision, il a ajouté madame Bettencourt, alors Nicolas Sarkozy lui a dit qu’il y avait aussi des
personnalités de gauche comme Claude Perdriel et Mathieu Pigasse (ce qui, soit dit en passant, est une publication d’informations fiscales a priori confidentielles).
François Hollande a eu alors la facilité d’asséner qu’au lieu de voir le Trésor public donner des chèques aux plus riches, il voudrait que ce soient
les plus riches qui fassent des chèques au Trésor public.
La tension a été très palpable, avec un Nicolas Sarkozy qui a parlé de « mensonge » puis de « calomnie » pour répondre à des affirmations fausses comme "Vous êtes
content de la situation actuelle" ou encore "Vous donnez des cadeaux fiscaux aux plus riches".
22h11, soudain, la démonstration de François Hollande est allée dans le décor, car le candidat socialiste a
répliqué à son interlocuteur qui expliquait que la France était l’un des pays les plus imposés. François Hollande lui a rappelé que c’est lui qui a augmenté le taux global d’imposition à 44% du
PIB… ce qui permettait au Président sortant de pointer une nouvelle incohérence de raisonnement, car il prouvait ainsi qu’il avait augmenté les impôts et qu’il n’avait pas fait de cadeaux aux
plus riches puisqu’il a établi une taxe sur les transactions financières.
Ce n’est pas la seule fois où l’opposition systématique de François Hollande, son seul objectif de le
contrer, a rendu son raisonnement intellectuellement faillible.
22h20, il y a eu une nouvelle dispute sur du factuel. La question : l’école primaire française est-elle
la moins bien encadrée d’Europe ? Il y a un taux de 23 par classe. Nicolas Sarkozy a parlé de l’ensemble des classes (primaire et secondaire) tandis que François Hollande n’a parlé que du
primaire.
22h23, François Hollande a développé son plan de croissance européenne qui paraît intéressant, en quatre
points dont les eurobonds et un changement de fonctionnement avec la BCE. Pour les autres points, Nicolas
Sarkozy a dit qu’ils étaient déjà à l’œuvre mais s’est montré farouchement hostile aux eurobonds (ce qui
est une erreur à mon avis) et a rappelé que des négociations difficiles ont déjà eu lieu avec la BCE pour assouplir son mode de fonctionnement (en ajoutant que Maastricht avait été négocié par les socialistes).
Alors que le candidat socialiste avait réussi à relever le niveau en mettant en avant son plan européen, il
s’est ensuite enlisé en rappelant l’amitié entre l’ancien Premier Ministre espagnol Zapatero et le Président sortant qui fustigeait les socialistes espagnols, ce qui n’est pas très futé puisqu’il
a conforté ainsi la démonstration de son rival (à 22h26).
22h28, mesquinerie NS : le Président sortant a expliqué qu’il a participé à de nombreux sommets
européens mais pas son rival, rappelant au passage que François Mitterrand ne lui avait donné aucune responsabilité pendant ses deux septennats.
22h31, une grosse maladresse de Nicolas Sarkozy n’a pas été relevé par son concurrent alors qu’il récusait
l’idée des eurobonds pour finir pas dire : « C’est qui, l’Union Européenne [qui va les financer], si ce n’est l’Allemagne et la
France ? ». Les vingt-cinq autres pays européens apprécieront sans doute…
22h34, mesquinerie FH : le candidat socialiste a parlé de « un de vos amis, Berlusconi », ce qu’a récusé Nicolas Sarkozy et après quelques échanges, Nicolas Sarkozy a dit qu’il n’était pas de son parti.
Reconnaissant ainsi qu’il avait encore l’esprit partisan.
22h36 : 2e thème, l’immigration
Bataille encore de statistiques : François Hollande a parlé de 200 000 immigrants par an alors que
Nicolas Sarkozy a insisté pour dire 180 000 par an (je suppose que l’un a pris la moyenne sur dix ans, l’autre l’année 2011, mais François Hollande n’a pas insisté sur ce registre).
Le candidat socialiste a commencé une belle démonstration sur l’immigration légale, en séparant l’immigration économique, l’immigration familiale et
les étudiants étrangers. Son rival a répondu plutôt sur l’immigration clandestine avec le besoin d’avoir un seul juge pour traiter le sujet et des centres de rétention qui n’abandonnent pas les
immigrés sans avoir de réponse sur leur éventuelle régularisation.
Globalement, Nicolas Sarkozy a été plus convaincant mais ce qui est assez affligeant, c’est que son concurrent socialiste s’est rangé exactement dans
le même schéma sarkozyen : il faut réduire l’immigration légale, et il est également contre tout communautarisme, contre la viande halal dans les cantines, contre les horaires de piscines,
contre la burqa (même s’il a été courageusement absent lors du vote de la loi), sujets finalement associés
par automatisme intellectuel.
Il avait pourtant relevé l’identification automatique fait par son interlocuteur : étranger = musulman au sujet du droit de vote des étrangers.
23h05, mesquinerie FH : parlant de Fukushima, il a
rappelé une inexactitude du Président sortant : « Vous avez dit que vous y êtes allé… ».
23h16 : 3e thème, politique
Il y a eu deux tirades très intéressantes sur la conception de chacun des candidats de la fonction présidentielle. Nicolas Sarkozy a rattrapé le
retard du temps de parole en évoquant son expérience de Président de la République tandis que François Hollande a récité de manière très convaincante une litanie de « Moi, Président de la République, je… » plusieurs dizaines de fois en pointant du doigt tous les reproches qu’il aurait à faire à la Présidence
Sarkozy. C’était intéressant, bien vu, bien dit (sauf au début où il gardait les bras croisés comme un écolier), mais un peu long.
Pas du tout déstabilisé, Nicolas Sarkozy a répondu points par points en rappelant toutes les ouvertures qu’il a pu faire à l’opposition (dans les
nominations etc.).
Mais au-delà de la justification de son quinquennat, Nicolas Sarkozy n’a pas pu s’empêcher de faire des comparaisons avec les "pratiques socialistes"
et particulièrement sous les septennats de François Mitterrand, en demandant qui a été nommé à la tête d’Elf, puis insistant sur Gilles Ménage, le directeur de cabinet de François Mitterrand,
mais c’est une erreur puisqu’il a été nommé en fait à la présidence d’EDF (entre 1992 et 1995) et pas d’Elf.
23h31, mesquinerie NS : répondant à François Hollande qui parlait de rencontres dans des hôtels chic de donateurs de l’UMP, Nicolas Sarkozy a
répliqué en lui lançant à la figure Dominique Strauss-Kahn, et au lieu de laisser passer, le candidat
socialiste a été très mal inspiré en niant tout, disant qu’il ne connaissait pas la vie privée de ses camarades (alors que Tristane Banon avait assuré qu’elle lui en avait parlé à l’époque où
elle a été, selon elle, victime d’une tentative d’agression sexuelle de la part de DSK).
23h33 : 4e thème, la politique étrangère
Le sujet s’est surtout résumé au départ des troupes françaises
d’Afghanistan (dont la présence a été décidée en octobre 2001 par Jacques Chirac et Lionel Jospin). Nicolas Sarkozy a expliqué doctement que le départ des troupes est prévu pour fin 2013 et
qu’il y a encore une mission à achever pour pacifier une région. François Hollande voudrait avancer le départ à fin 2012, sans concertation avec les troupes alliées et sans solidarité aucune avec
nos partenaires. Le Président sortant a été beaucoup plus convaincant que son opposant qui n’avait pas de justification crédible pour un départ précipité d’Afghanistan.
Puis, ce furent les conclusions des deux candidats.
Le débat (j’imagine épuisant) s’est terminé à
23h50.
In fine
Dans tous ces échanges, j’ai retenu que l’un était prêt à recourir au référendum pour le droit de vote des étrangers tandis que l’autre le ferait pour
la règle d’or budgétaire, dans les deux cas, si jamais aucune majorité des trois cinquièmes ne se
dégageait au Parlement réuni en congrès après les élections législatives de juin 2012.
Une autre chose également : François Hollande a complètement récusé l’accord fait entre le PS et les écologistes (qui apprécieront) en ne mettant dans son programme la fermeture que d’un seul réacteur (à Fessenheim) et pas de vingt-quatre comme EELV
l’avait souhaité.
En tout, chaque candidat a parlé chacun soixante-douze minutes et dix-sept secondes. Le duel était modéré par Laurence Ferrari et David Pujadas, ce
dernier a été incapable de s’adapter aux sujets abordés en modifiant légèrement l’ordre du jour.
Pour résumer, le débat a été très tendu, pas très élevé, sans arrêt dans des interruptions surtout du fait de François Hollande, des erreurs des deux
côtés, mais particulièrement du côté de Nicolas Sarkozy (François Hollande étant bien plus flou dans les nombres qu’il apportait). Sur l’immigration et sur le nucléaire, Nicolas Sarkozy a paru
convaincant tandis que sur le plan de croissance, le candidat socialiste pouvait tenter de se montrer plus volontariste que le Président sortant.
Mon impression générale reste cependant que François Hollande n’était pas assez posé et apparaissait très stressé pour cet exercice, au point
d’argumenter contre lui pour le simple plaisir de la joute verbale. Nicolas Sarkozy, au contraire, se sentait à l’aise bien qu’en défensive, peut-être une question d’expérience…
Ce débat serait-il un élément de décision chez les électeurs hésitants ? Sûrement que oui, car François Hollande a pu enfin se montrer tel qu’il
était (au contraire de ses meetings). Il m’a surtout semblé ressembler à …Édouard Balladur.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (3 mai
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Débat Sarkozy-Royal du 2 mai
2007.
Débat
Sarkozy-Royal sur le nucléaire.
Nicolas Sarkozy.
François Hollande.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/debat-sarkozy-hollande-2012-la-116035