Le combat tant attendu a donc eu lieu : Sarkozy et Hollande se sont retrouvés devant les électeurs citoyens contribuables téléspectateurs pour exposer quelques uns des aspects de leur « programme » électoral. Sachant que leurs trop nombreuses promesses ne les engagent pas le moins du monde, on comprendra que l’exercice était purement rhétorique…
Avant de revenir sur quelques uns des rares moments clefs de ce débat, il est nécessaire de bien comprendre les motivations de chacun des deux candidats. Attention : je ne parle pas ici des motivations affichées, proférées et pipeautées sans vergogne par les deux opposants. Non, je parle ici des motivations internes de l’un et l’autre prétendant au poste élyséen.
Pour Sarkozy, le renouvellement de son mandat signifie bien sûr la continuité de son action. Pas celle, entendons-nous bien, de son action politique, brouillonne et purement en réaction à une actualité qui l’a balloté d’un côté à l’autre du spectre politique français, aussi étroit soit-il. Si Sarkozy veut continuer son action, c’est celle qui consiste à vivre le statut d’un milliardaire, avec le feu nucléaire, la médiatisation et la déférence de toute une caste sans en avoir les moyens financiers. C’est la continuité des petits jeux politiques, des bidouillages politiciens dans lesquels il excelle. C’est aussi la continuité de son immunité diplomatique qui, mine de rien, signifie d’autant plus qu’il a quelques affaires à se reprocher.
À tous ces titres, un échec de Sarkozy signifie, clairement, le début d’une série d’ennuis bien irritants d’autant qu’il lui sera difficile de plaider Alzheimer ou la vieillesse pour échapper à la justice, comme d’autres présidents avant lui. Accessoirement, l’explosion de l’UMP est parfaitement envisageable si le président n’est pas reconduit.
Pour Hollande, l’accession à l’Élysée marque une revanche sur ceux de son propre parti qui l’ont pris pour ce qu’il n’a jamais réussi à dépasser : un apparatchik mielleux et combinateur, un être peu fiable et dont les convictions, d’une parfaite liquidité, s’adaptent parfaitement à n’importe quelle contenance. Tout comme Sarkozy, un échec du candidat socialiste entraînerait ici des lendemains difficiles pour un parti socialiste manifestement coincé dans une armoire en formica des années 70. Et tout comme Sarkozy, un échec, à ce point de son parcours, signifierait la fin de toute carrière possible, si ce n’est comme troisième couteau usé : il n’a jamais été qu’un candidat par défaut. Et des défauts, on n’a pas besoin de chercher longtemps pour lui en trouver puisque ses meilleurs amis nous en fournissent régulièrement.
Bref : ni l’un, ni l’autre n’ont le droit à l’erreur sur cette élection. Et ni l’un, ni l’autre n’avaient le droit à l’erreur dans ce débat, qui, malgré cette tension palpable et directement issue de ces motivations puissantes, aurait largement été plus intéressant s’il avait eu lieu dans une piscine remplie de gelée de groseilles dans laquelle les deux prétendants se seraient âprement besogné les mâchoires à coup de lattes.
… Car en fait de débat, on a eu plusieurs fois droit à une joute oratoire qui aurait tourné au pugilat si le décorum et la présence des deux prétextes journalistiques sur le côté ne l’avait empêché. Dès les premiers échanges, dans les premières minutes, les réparties se sont faits vives et nerveuses, quasiment violentes (on appréciera au passage les comparaisons d’insultes entre un Hollande Winnie L’Ourson et un Sarkozy Hitler…). Dans la façon même dont les deux candidats aspiraient certains syllabes, on pouvait sentir vibrer leur pauvre petit cœur de politicien qui risque son futur…
Au fur et à mesure du débat, les deux candidats ont plusieurs fois perdu leur sang-froid, se coupant mutuellement dans une cacophonie pénible à suivre : comme je l’ai mentionné plus haut, les enjeux sont si élevés que le niveau général a été plus bas encore que celui de 2007 qui n’avait pas volé bien haut. Sur le plan politique, le débat n’a pas apporté grand-chose : ce fut du socialisme à tous les étages. Sarkozy aura gratté un peu sur sa droite, Hollande, prudent, aura raclé sur son centre. On s’y attendait, tout s’est déroulé comme prévu.
En revanche, sur le plan rhétorique, il est piquant de noter que Sarkozy s’est assez souvent servi des propres arguments développés lors de la primaire du Parti Socialiste par les opposants de Hollande pour en contrer les arguments. Il a ainsi montré de façon éclatante que la différence entre les deux programmes est extrêmement fine.
En fait, c’est un nouveau Grand Débat de Primaires Socialistes, dans lequel il fut fait assaut d’inventivité pour prouver qu’on avait bien cogné comme il faut sur les créateurs de richesse, qu’on avait bien distribué la richesse, qu’on avait correctement fait les poches des contribuables (le mot poche lui-même fut employé, sans que personne n’y trouve rien à redire)…
La conclusion semble évidente : le débat n’a permis de mesurer que la hargne de l’un et l’autre à décrocher la timbale, et certainement pas la solidité du bois dont ils ont fait leurs pipeaux. La soupe est à ce point bonne qu’ils débordaient d’énergie pour aller la récupérer.
Mais comme je l’ai dit en introduction de ce billet, une fois leur motivations comprises, le jeu de jambes perd de sa superbe.